Mi-rockeurs, mi-fermiers, les deux Gascons de The Inspector Cluzo enchaînent depuis dix ans les disques et les concerts par dizaines. Partageant leurs vies entre leurs oies et leurs ouailles, la boue et le blues, le goût du foie gras et la foi en un coup très sûr pour l’authentique non feint. Ils passent par Lyon le 5 octobre.
The Inspector Cluzo, c’est un peu les White Stripes à la ferme. Avec eux, Eyres-Moncube, dans les Landes, moins de 350 habitants, prend des airs de Nashville champêtre où les santiags laissent place aux bottes de fermier, les jeans aux combinaisons de travail et le chapeau de cow-boy au béret. Et c’est en se calquant sur le rythme de la nature que Laurent Lacrouts (chant, guitare) et Mathieu Jourdain (batterie), qui se sont connus sur les bancs de… maths sup, mènent de front une carrière de rockeurs et de producteurs de foie gras bio. Ou plutôt en alternance puisque, d’octobre à janvier, le duo ne donne aucun concert : priorité au gavage des oies et des canards et à la préparation des confits, du foie gras et autres riantes rillettes. Le soir, en revanche, entre deux remplissages de gosiers, les Cluzo composent et enregistrent, garnissant le bocal à chansons. À partir de janvier vient la saison des concerts, intense – plus de mille en dix ans, dans cinquante-deux pays –, pendant qu’un voisin garde la boutique, aidé par la présence imposante du fier Miguel, le bouc qui orne la pochette de leur dernier album, We the people of the soil, produit à Nashville par Vance Powell (Jack White, Tinariwen, Seasick Steve).
Fait maison
On l’aura compris, chez Inspector Cluzo, groupe favori du médiatique chef Etchebest, tout est fait maison, tout est indé jusqu’au bout des ongles, on gave selon des méthodes ancestrales, on vit en autosuffisance et on compose de la même manière. Et si l’on pouvait parler de rock bio, alors The Inspector Cluzo en serait l’étendard, pas nécessairement militant mais activiste convaincu, au moins pour lui-même. C’est ainsi que, comme il le fait avec la vente directe de ses produits sur les marchés – et dans les concerts –, le duo gère lui-même toute la filière de sa musique, de la diffusion aux droits d’édition en passant par le booking, via son label FuckTheBassPlayer (clin d’œil à l’inutilité des bassistes – le groupe ne compte, par conviction, qu’un guitariste-chanteur et un batteur, comme les White Stripes) et ses agences de booking et d’édition. Cette démarche entend préserver leur musique de toute tentation mercantile – d’ailleurs, tout l’argent gagné avec la musique est réinvesti dans leur ferme de Lou Casse –, de toute contamination du format ou du son.
Renversantes ballades et colères authentiques
Alors, bien sûr, tout cela est bel et bien folklorique, mais qu’en est-il du son de ces rock farmers, du titre de leur pénultième album ? Eh bien, justement, il est brut, très brut – ce qui ne l’empêche pas d’être délicat à l’occasion sur quelque renversante ballade, grâce soit rendue aux prouesses vocales de Laurent Lacrouts, aussi rageur que subtil –, organique, rêche, direct, à tous les sens du terme. Quelque chose se rapprochant des White Stripes ou des Black Keys des débuts, ou d’un Led Zeppelin passé au rabot. Un son au plus proche du blues, cette musique qui a toujours eu de la terre sous les doigts, précisément parce que les premiers à l’avoir pratiquée la travaillaient, la terre, et pas forcément de leur propre gré. Un son qui porte un message aussi, de revendications ou de colères à peine voilées, qu’elles soient graves (sur des titres comme GMO & Pesticides, Move over Monsanto ou Globalisation Blues) ou plus légères (Fuck the bobos, F*** Michael Jackson, Fuck the bass player, les deux fermiers aimant visiblement, sans doute par déformation professionnelle, envoyer paître), en tout cas toujours vectrices d’un souci de l’authenticité qui n’a de nom que celui du bon sens appliqué à tout. Par les temps qui courent, voilà qui redonne foi(e) en l’homme.