On pourrait parler, pour cette date lyonnaise du haut perché festival Winter Camp, de plateau international si l’on n’avait affaire là à deux des plus intersidérants extra-terrestres de la scène pop. Peu importe que l’un soit suédois et que l’autre, au nom de scène cosmique, soit français. Jay-Jay Johanson et Orval Carlos Sibelius (photo) appartiennent à une autre galaxie.
Des galaxies, Jay-Jay Johanson en a exploré des dizaines, cherchant d’album en album – à de rares exceptions près (le dégénéré Antenna, entre électro-pop 80s et variétoche Steph de Monac’) – à exposer les diverses déclinaisons musicales (trip-hop, house, piano, voix) du terme mélancolie, qui en Suède s’exprime par des dizaines de mots différents. Chaque fois, il semble atteindre le fond (psychologique) tout en touchant de sa voix lactée les étoiles.
Le dernier album du grand blond avec une fissure noire ne déroge pas à la règle. Baptisé Cockroach (cafard), il véhicule à coups de beats léthargiques (le dub assommé du single Mr Fredrikson) une drôle d’atmosphère, plombée, comme figée dans une éternelle langueur hivernale mais lumineuse même dans la noirceur. Dans laquelle – c’est la magie JJJ – on trouve du réconfort.
Car, oui, Gégé, l’homme qui ne rit pas, est toujours sur le fil de l’autocomplaisance et nous avec lui. Il n’a certes plus le mojo hitchcocko-chetbakerien de ses premiers albums (Whiskey et Poison, surtout), tourne un peu autour de son propre pot, mais ce pot est comme La Coupe d’or d’Henry James : un révélateur de sentiments enfouis.
Quelques kilomètres au-dessus des cafards, en orbite, Orval Carlos Sibelius s’attache lui à explorer les nébuleuses pop, passé en quelques années du folk druidique de son groupe Centenaire au psyché-tropicalisme avec Super Forma, l’un des albums les plus étourdissants qu’on ait entendus ces derniers mois. Lequel pourrait être le résultat de l’envoi dans l’espace de quelque popeux brésilien fan de Pink Floyd et cousin des Beach Boys, pour terraformer une musique volante non identifiée et la mettre en tubes.
Comme chez Jay-Jay Johanson, derrière l’atmosphère hydrogénée et éthérée, se cachent des tubes, des vrais. Des qui s’ignorent. Ironie du sort, on retrouve parfois sur quelques plages plus désolées un peu de la mélancolie universelle cotonneuse d’un Jay-Jay qui aurait pu jadis emprunter la bretelle de l’évasion totale plutôt que celle du retour à l’introspection, celle de l’aurore boréale explosant de couleurs plutôt que du crépuscule hivernal.
---
Jay-Jay Johanson + Orval Carlos Sibelius (Festival Winter Camp). Mardi 10 décembre à 20h30, à l’Épicerie Moderne (Feyzin).
-----
Cet article est extrait du cahier Culture de Lyon Capitale n°728 (décembre 2013).