Parmi les événements de cet automne musical, il y a le passage de Lloyd Cole au Toboggan, le crooner pop écossais fêtant en tournée, seul à la guitare, un anniversaire. Celui de ses 35 ans – de carrière.
Il faudrait presque se pincer pour y croire. Cet automne, Lloyd Cole fête sur la route ses trente-cinq ans de carrière. Pas moins. Un chiffre vertigineux tant il semble que c’est hier que résonnèrent pour la première fois, dans le grésillement des radios de l’époque, ses premiers tubes avec les Commotions – quand les Écossais alignaient sans coup férir leurs Perfect skin, Are you ready to be heartbroken? ou Forest fire, quelque part au croisement des guitares scintillantes des Byrds, de Lou Reed et d’un brin de blue-eyed soul, une musique bourrée de références littéraires à la fois frondeuse et contre laquelle se blottir en cas de coup dur. C’était en 1983 – l’album, Rattlesnakes, incontournable classique des 80s, sortit l’année suivante. C’était hier, en effet, et c’était il y a une vie, ni plus ni moins.
On peut même penser, tyrannie de la jeunesse, que Lloyd Cole ne fit jamais mieux, que ce soit avec les Commotions – qui extrairont encore quelques pépites comme Brand new friend ou le fameux Lost weekend, deux classiques absolus du groupe, plus tard Jennifer she said – ou en solo. Car, les Commotions séparés, comme un symbole, à la toute fin des années 1980, Lloyd Cole, doublement célibataire après la séparation d’avec sa compagne, s’envole pour New York les bottes pleines de fantasmes américains, lui l’Écossais pur malt, et le moral au fond desdites bottes, sombre (dans l’alcool notamment) puis renaît. Et pas qu’un peu, précisément parce qu’il ne cherche pas à reproduire la formule Rattlesnakes.
Songbook
L’album Lloyd Cole (1990) sur la pochette duquel il apparaît aussi avenant qu’une descente de lit mazoutée – ce qui deviendra sa marque de fabrique – est une merveille de subtilité. Comme si l’Écossais avait retrouvé le mojo qui l’animait au début des Commotions, entre roulis de tendresse et hoquet atrabilaire de crooner mal rasé – celui-là même qui reprendra, entre autres, avec tant de grâce, quelques incunables de Leonard Cohen. Là encore les tubes s’enchaînent – Don’t look back, Dowtown, No blue skies (sans doute sa chanson la plus connue, popularisée par une pub Philips). Tout aussi sublime bien que moins immédiatement accessible, Don’t get weird on me babe emballe un an plus tard le romantisme grisâtre du Cole dans les violons de l’orchestre de Nelson Riddle, accompagnateur de Sinatra dans les années 1950, au gré d’arrangements country-music hall à faire décoller une coupole. Cette fois, c’est sûr, Lloyd Cole ne fera jamais mieux, ni avec le combatif Bad Vibes (1993), qui se perd dans la tentation technologique, ni avec le délicat et humble Love Story (1995).
On pourrait continuer ainsi mais, s’il produit toujours des albums depuis vingt ans – et son éviction comme un malpropre de chez PolyGram lors de la grande extinction des maisons de disques au tournant des années 2000 –, dont certains se tournent volontiers vers des sonorités électroniques, c’est sur sa période la plus faste (1983-1996) que Lloyd Cole a décidé de concentrer, en solo, sa tournée anniversaire, son songbook, comme il l’appelle, pour le plus grand plaisir de ses fans de la première heure, dont certains l’ont sans doute quelque peu perdu de vue, avec le temps. Tout ce temps.