Avec La Science du cœur, Pierre Lapointe frappe un nouveau grand coup dans le paysage de la chanson pop francophone. Star au Québec, il passe par Décines ce dimanche.
Depuis une décennie qu’il nous envoie des petites merveilles de disques fabriquées dans la Belle Province avec un talent, qui porte toujours aussi beau, de compositeur touche-à-tout mais aussi d’artiste total, il y a belle lurette que Pierre Lapointe devrait s’être fait un nom dans le paysage français, cirer les tabourets de Ruquier ou enfoncer le canapé de Michel Drucker tout en squattant les unes des magazines spécialisés les plus pointus. Car, s’il n’y a pas de frontière stylistique dans l’œuvre de Pierre Lapointe, celle-ci se révèle aussi avant-gardiste dans son approche qu’elle pourrait être populaire dans son résultat – ce qu’elle est d’ailleurs au Québec, où son succès ne se dément pas.
Artiste total
Redorant au passage le blason de ce qu’on appelle ici la variété, sans que cela soit insultant pour personne – le natif d’Alma se réclame beaucoup de Charles Aznavour et cela s’entend très souvent, dans ses arrangements comme dans ce phrasé si particulier. En résumé, Pierre Lapointe peut plaire à l’amateur de pop le plus exigeant – pointu – comme à sa mère (ce côté gendre idéal), sa sœur (il est beau gosse, romantique et coquin) ou son frère (il est beau gosse, romantique et coquin et surtout assume son homosexualité de manière frontale dans ses textes, sans se soucier de l’hétéronorme qui a cours dans la chanson depuis des siècles). De même, au Québec, le chanteur est connu aussi bien pour son implication dans le milieu de l’art – dont il s’inspire beaucoup pour l’aspect visuel de son travail, partie prenante de son œuvre – qu’en tant que juré de La Voix (The Voice local), sans que cela crée de rupture du continuum espace-temps.
Amour toujours
Mais voilà, pour l’instant, s’il a su gagner le cœur d’un certain public de ce côté-ci de l’Atlantique, qui se damnerait d’ailleurs pour lui, la consécration n’est pas encore arrivée. Ce qui est d’autant plus étonnant au vu de la malchanson dont la France se baffre à longueur d’années en disant merci et en en redemandant, comme si le seul horizon possible se nommait Garou. Cela pourrait changer – en tout cas cela devrait – avec La Science du cœur, dernier album en date de Lapointe (le 10e, à 36 ans – tremble, Laurent Voulzy !) qui a tous les contours du chef-d’œuvre, à la fois superficiel par profondeur – le chanteur ne sait guère se prendre au sérieux trop longtemps – et intensément intime. À l’image du morceau-titre, qui emporte comme un ouragan de violons, de poésie et de trivialité condensant en un seul morceau tout Pierre Lapointe. Comme si cette “science du cœur” était celle de l’exploration de l’organe du même nom et des états d’âme qu’il renferme, science à la fois exacte et volatile, insaisissable : une plongée dans le sentiment amoureux, comme avec les renversants Le Retour d’un amour, Mon prince charmant ou Une lettre, véritables bijoux d’écriture, tous ouvertement adressés à un homme mais dont la portée dépasse évidemment l’orientation affective de chacun. Dans les angoisses aussi les plus intérieures – Zopiclone, complainte moléculaire sur l’insomnie – et les plus universelles : les existentiels Qu’il est honteux d’être humain et Sais-tu vraiment qui tu es ? ou Alphabet et son énumération spoken word à cheval sur le zeitgeist et la promesse d’une apocalypse. “Apocalypse” signifiant révélation, espérons que pour Pierre Lapointe cet album soit celui d’une apocalypse française à grande échelle qui se décline, comme il le fait justement dans Alphabet avec la lettre A : “toujours faire rimer amour avec toujours”.
Article mensonger, j'y suis allé et je n'ai vu ni caméléon ni toboggan !