Guy Chadwick

Concert : The House of Love à l’Épicerie Moderne

Formation culte des années 90 au sévère goût d’inachevé, The House of Love et son leader Guy Chadwick reviennent chatouiller la propension à la nostalgie des fans d’indie rock anglais. Avec derrière le tour bus, sans doute une pleine remorque de regrets.

Le type au premier plan a le visage émacié, le cheveu en bataille et le sourcil naturellement froncé par des arcades portées sur l’offensive et barrées d’une cicatrice – souvenir d’un accident de voiture. Des airs d’envie d’en découdre et une nature pas commode qui se confirmeront tout au long de la carrière de l’intéressé, chaotique et en grande partie inachevée. Voilà la pochette du premier album, sans titre, de The House of Love (1988), qui décrit assez bien la détermination parfois aveugle de son leader. Le type renfrogné en question a pour nom Guy Stephen Chadwick. Comme la plupart des songwriters anglais, il s’est persuadé d’être un authentique génie pour masquer des montagnes de doutes et quelques vilains démons, reliquat d’une enfance trimballée en Allemagne et à Singapour et achevée dans quelque internat religieux de Grande-Bretagne l’ayant traumatisé à vie. Chadwick compense donc sa fragilité et ses incertitudes par une attitude quelque peu surjouée – un autre travers anglais – et une intransigeance – parfois une cruauté – de tous les instants envers ses pairs, pendant obligé de l’exigence qu’il se porte à lui-même.

L’intime et la transgression, les deux mamelles du rock anglais de cette période née du post-punk et d’un goût excessif pour le romantisme morbide.

Dès le départ, ses ambitions mal mariées à son attitude font capoter toutes ses tentatives de réussir dans la musique. Lorsqu’il touche du doigt son rêve au milieu des années 80 avec Kingdoms, il a déjà presque trente ans, âge canonique pour une rock star en devenir, ne s’entend pas avec ses partenaires et se fait virer du jour au lendemain du label RCA après avoir dépensé 7 000 livres sterling pour l’enregistrement d’une seule chanson. Il se remet mal de cet échec, sombre dans la drogue et multiplie les petits boulots. Un concert de The Jesus and Mary Chain, qu’il admire au même titre que The Only Ones de Peter Perrett, le convainc de retenter sa chance. Il recrute alors à l’ancienne et à l’anglaise – par petite annonce – une poignée d’acolytes dont un petit génie de la guitare, Terry Bickers, que l’on voit passer la tête par-dessus l’épaule de Chadwick sur la pochette décrite ci-dessus – il ne fera que passer la tête et à vrai dire que passer tout court.

Shine On

Nous sommes en 1986 et The House of Love est formé. Son nom un peu tarte est une référence vaguement prétentieuse – comme les groupes anglais aiment à les multiplier pour compenser une éternelle et souvent injuste image de clowns bas du front ou faire comme Morrissey des Smiths, le bibliothécaire de la pop britannique qui cite les grands poètes – il vient d’un roman d’Anaïs Nin, A Spy in the house of love, connue pour ses journaux intimes et son sens de la transgression. L’intime et la transgression, les deux mamelles du rock anglais de cette période née du post-punk et d’un goût excessif pour le romantisme morbide.

Très vite, le groupe est remarqué par Alan McGee, jeune branleur écossais qui se rêve en Malcolm McLaren, le mentor démoniaque des Sex Pistols, et vient de fonder un label indépendant Creation Records – qui une décennie plus tard remportera le jackpot en signant deux idiots de Manchester nommés Liam et Noël Gallagher, nés pour être des rock’n’roll stars. Creation n’en est qu’à ses balbutiements mais permet à Chadwick and co de sortir notamment un single qui fait date Shine On, encore aujourd’hui l’un des immortels classiques du groupe, puis un autre tout aussi culte, Christine, et ses arpèges sans fin. Puis enfin l’album The House of Love, où figure donc la trogne patibulaire mais presque de Chadwick. Immédiatement, celui-ci acquiert une réputation qui sied à son exigence : la critique le tient pour l’un des compositeurs les plus fins du paysage, capable de douceur cristalline comme d’emballements distordus, doublé qui plus est d’un parolier hors pair qui flirte avec l’excellence d’un Morrissey et le charme d’un Lloyd Cole. Et donc avec le panthéon de la pop dite “ligne claire”.

C’est sans doute trop pour Chadwick qui, sans doute galvanisé et peut-être un peu ivre de ce succès, semble tenter par tous les moyens de tuer la poule aux œufs d’or qu’il a entre les mains et n’a pas la patience de regarder pondre chaque jour son écot à la gloire rêvée. Le leader du groupe multiplie ainsi les mauvaises décisions en un temps record. Dragué par nombre de majors, il signe avec Fontana, filiale de Phonogram, avec qui les relations sont immédiatement catastrophiques et ce au pire moment : celui de l’enregistrement de l’album censé transformer l’essai. Les deux se déchirent sur le choix du réalisateur et l’album – qui n’a pas non plus de titre mais se trouve surnommé “Fontana” ou “l’album papillon” à cause de sa pochette à la mosaïque figurant un papillon – est entièrement réenregistré. Y figure notamment une nouvelle version de Shine On. Problème, les singles ne fonctionnent guère, peut-être parce qu’ils sont mal choisis. L’album se vend néanmoins à 400 000 exemplaires – il contient des pépites comme la ballade Beatles & Stones – mais le ver est dans le fruit. Entretemps, rongé par les disputes – qu’une consommation excessive de drogues ne contribue pas à apaiser – le groupe a largué en pleine tournée le guitariste Terry Bickers dans une station-service du pays de Galles et n’est jamais revenu le chercher. Son remplaçant Simon Walker quitte, lui, The House of Love après la sortie du deuxième album, soit environ cinq minutes plus tard.

The Girl With The Loneliest Eyes

Quand le groupe, largement remanié par Chadwick, publie Babe Rainbow en 1992, une nouvelle génération a malheureusement pris le pouvoir. Celle de groupes ressuscitant l’héritage glam-rock comme Suede ou The Auteurs ou agitant la bannière Madchester à la tête d’un rock groovy qui met le feu à tous les clubs du pays dans le sillage de groupes comme The Charlatans, Happy Mondays et surtout The Stone Roses. Chadwick, conscient de la chose, tente de reproduire cette dernière formule, déjà entrevue sur son deuxième disque avec des titres comme Never. Très produit, Babe Rainbow, qui compte des morceaux accrocheurs comme le très (trop ?) Madchester You Don’t Understand – et de son propre aveu la plus belle chanson écrite par Chadwick, The Girl With The Loneliest Eyes – est pourtant un échec. Mais il est capital pour saisir l’endroit exact où cette formation et son leader si prometteurs ont échoué.

Car The House of Love cherchera en réalité – et ne parviendra jamais – à résoudre l’impossible équation à mille inconnues, la pierre philosophale du rock : être honnête et savoir se vendre (et donc être un poil malhonnête). Autrement dit, être artistiquement irréprochable, ne rien concéder, tout en élargissant son public ; garder les faveurs du fan de l’indie rock, connu pour son intransigeance, tout en touchant le grand public. Flattez le premier, le second ignorera jusqu’à votre existence, draguez le second, le premier partira en claquant la porte, racontant à qui veut l’entendre que jamais au grand jamais on ne l’a traité comme ça et qu’il ne s’est jamais senti aussi trahi. C’eut été comme tirer sur les deux extrémités d’une corde en espérant qu’au lieu de coulisser, elle s’étire en ses deux extrémités. En gros, Chadwick a échoué à être à la fois The Smiths et U2, à susurrer son mal-être à l’oreille des fans mais à le faire dans des stades. La poule aux œufs d’or en mourra rapidement. Et cette poule aux œufs d’or, c’était son groupe.

Le temps de l’agonie, The House of Love, qui n’a guère plus de succès qu’en France, patrie inrockuptible, a quand même le temps de livrer le très rock Audience with the mind mais aucun single. S’ensuit pour Chadwick une interminable dépression qui le mène à la fois à publier un album solo, Lazy, Soft & Slow, particulièrement apaisé, en 1998 et à se réconcilier avec Bickers. Contre toute attente, les deux hommes reforment The House of Love en 2003 et publient deux ans plus tard un disque plutôt salué par la critique – la nostalgie ayant parfois quelques largesses. Depuis, le groupe a tourné au rythme des rééditions anniversaires de ses classiques et livré, à un rythme de sénateur, deux nouveaux disques et notamment A State of Grace l’an dernier, dont en plus de son titre général les titres de certains de ses morceaux – Sweet Loser, Clouds, Queen Of Song, Dice Are Rolling, Just One More Song – le feraient presque fonctionner comme un album à clés, dessinant une trajectoire. Celle d’un groupe – et de son leader – qui aura dû faire la paix avec ses ambitions pour avoir le droit à l’essentiel : jouer encore un peu.

The House of Love – Le 27 mars, à l’Épicerie Moderne

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