Paire de pieds au lit

Couple : Mais où sont passés le prince et la princesse ?

Je sais, nous sommes au XXIe siècle et qui peut, de nos jours, sans mourir foudroyé de honte dans l’instant, reconnaître qu’elle ou il rêve encore à son prince et sa princesse très charmants ? Si l’on en croit le docteur Philippe Brenot, qui étudie le couple depuis plus de trente ans, tout le monde ou presque !

Nous sommes toujours très nombreux à céder aux sirènes de ce mythe universel. La modernité, le virtuel, les réseaux sociaux, les sites de rencontre en ont changé la forme, mais pas le fond. Alors, que se trame-t-il quand nous nous abandonnons à ce désir amoureux ? Pour le comprendre, Philippe Brenot analyse en détail dans son dernier livre* les mécanismes qui nous attirent vers l’autre, ceux qui nous en éloignent, et enseigne (car il s’agit bien de cela) des méthodes pour que cette histoire à deux idéalisée, inventée, magnifiée dure et ne dégringole pas du pays des rêves dès que la réalité reprend ses droits.

Vous croyez toujours dans le couple ? En l’amour ? Vous souhaitez améliorer votre relation actuelle ou vous lancer dans une nouvelle aventure à deux ? N’hésitez plus, ce livre est pour vous. Entretien avec l’auteur.

Lyon Capitale : Pourquoi cette passion pour le couple ?

Philippe Brenot : C’est un domaine encore peu exploré, une notion en constante évolution et une réalité que l’on connaît, en fait, très peu.

Le couple tel qu’on l’entend aujourd’hui est une structure récente, datant de moins de cinquante ans. Mes grands-parents par exemple ne vivaient pas en couple – on n’utilisait pas ce mot, on parlait de “jeune ménage” ou de “jeune mariage” – mais dans un couple-famille dans lequel il y avait interpénétration des générations. Les individus n’existaient pas de la même façon qu’aujourd’hui. À l’époque, on trouvait plusieurs générations dans la même maison. Les enfants étaient élevés par le groupe. On se mariait très rarement par amour, mais pour répondre à un souhait des parents.

Chacun a sa définition du couple. Depuis les années 1970, un couple signifie l’union, la réunion de deux sujets désirants et autonomes, ayant un projet commun. Le couple est une entité à part entière, reconnue comme telle par ses pairs. Désormais, on fait couple quand on a réussi deux séparations – avec les ascendants et avec les descendants. Le premier empêchement à l’amour, ce sont les enfants. Soit parce qu’ils sont l’alibi de l’un des deux, soit parce qu’ils ne permettent pas d’entretenir un climat amoureux et le désir érotique. Ce qui met beaucoup de couples en grande difficulté.

C’est quoi, le couple moderne ?

C’est un couple libre des systèmes qui régissaient et maintenaient les unions autrefois. Par exemple : l’argent et le pouvoir, qui étaient détenus par l’homme ; l’interdiction morale de divorcer, qui empêchait la femme-mère de partir.

“Accepter d’être fait l’un par l’autre au fil du temps”

Aujourd’hui, ces contraintes séculaires existent de moins en moins dans nos sociétés. Femmes et hommes sont en général autonomes financièrement, et dans ces conditions le couple résulte de l’alliance de deux sujets libres qui peuvent se mettre, ou pas, facilement ensemble – et se séparer de même, ce qui rend les unions très fragiles. Le lien de départ est l’attachement amoureux, qui repose notamment sur l’estime, l’admiration de l’autre. On apprend à faire couple. Surtout après 30 ans. Ce qui demande de très bien se connaître et d’accepter d’être fait l’un par l’autre au fil du temps. Il ne s’agit pas d’établir une relation de dépendance ou de soumission à l’autre, mais de choisir, de partager un quotidien ou des moments avec une personne que l’on aime, en qui on a confiance, que l’on respecte et avec qui on partage une grande complicité. Cela sans rien idéaliser mais en l’acceptant comme elle est, et inversement. Nous sommes imparfaits. L’autre aussi. On en tient compte et on essaye d’inventer un couple qui nous ressemble. L’expérience nous enseigne que vivre à deux n’a rien de naturel. Le savoir, l’accepter, c’est se donner les moyens de réussir son couple puisque, rien n’étant acquis, on va devoir “y travailler”, mettre en place des stratégies.

Dans ces conditions, c’est quoi l’amour ? Est-il lié au coup de foudre ? Dans l’enquête que vous avez menée avec l’Observatoire international du couple, 56 % des femmes et 59 % des hommes interrogés disent avoir vécu un coup de foudre.

L’idée du coup de foudre est passionnante si on sait l’inclure dans le réel. Le coup de foudre est le summum de l’émotion, c’est une disposition particulière et fulgurante du “tomber amoureux”. Ce choc, car il s’agit bien d’un choc, prend différents visages, mais cela correspond, globalement, à une modification de l’état de conscience qui ressemble à un état hypnotique.

Le regard est le mode d’entrée le plus fréquent du coup de foudre. Les femmes et les hommes vivent ce moment de manière très différente. Le vécu émotionnel des hommes et leur façon de le raconter est beaucoup moins détaillé par exemple. Les femmes parlent plus facilement de changement de perception, de perte de repères, de sensations profondément modifiées, de temps suspendu.

L’amour ne se définit pas. Il se ressent, se vit. Il est fait de phénomènes psychochimiques naturels auxquels s’ajoutent des ingrédients personnels. La capacité à “tomber amoureux” vient de la personne, de son aptitude à se laisser aller à la séduction, à l’abandon, à l’amour. Le premier élan est spontané, il est une évidence instinctive et partagée. Mais on peut apprendre à se laisser aller à l’amour et à le faire durer. C’est ce que j’enseigne aux hommes et aux femmes qui me le demandent en consultation.

Vous parlez de 7 étapes de la rencontre amoureuse : les connaître aide-t-il à faire rentrer le couple dans la vraie vie ou à initier un nouveau couple ?

Oui. C’est pour cela que cela s’apprend. Et tout commence par apprendre à se connaître. Rien n’est possible sans cela. Être soi, c’est accepter de faire un travail d’inventaire pour découvrir quels sont nos vrais désirs et besoins, où se cachent nos défenses et nos peurs, et comment elles se manifestent quand nous sommes à deux. C’est apprendre à s’estimer, à se voir tel que l’on est. C’est aussi se remettre en question, ce qui est fondamental dans la rencontre amoureuse ou pour que l’amour dure.

“Apprendre à s’aimer pour pouvoir accepter d’être aimé”

Cette connaissance de soi est indispensable pour établir un rapport “vrai” à soi-même et à l’autre. C’est apprendre à s’aimer pour pouvoir accepter d’être aimé. Et c’est aussi savoir affirmer ce que l’on désire tout en respectant ce qu’est l’autre, dans ses différences. Cela étant posé, la démarche de la rencontre amoureuse procède ensuite d’une décision active, qui doit être mûrement réfléchie et suffisamment précisée pour que le désir initial puisse se concrétiser au mieux.

Il n’est pas neutre de rappeler que 14 % de la population en France vit seule. C’est deux fois plus qu’il y a trente ans. 45 % des célibataires restent seuls suite à un échec sentimental. Il est donc important d’apprendre à réussir à faire couple en apprenant à se connaître. La remise en question commence par soi-même, pas par remettre en cause l’autre.

La plupart des parents ont subi ce mythe pénalisant du prince et de la princesse charmants, dans leurs relations amoureuses… Comment expliquer que, malgré cela, ils continuent à le transmettre à leurs enfants ?

On a été construit comme cela. Le mythe du prince charmant est le mythe de l’être prédestiné, pour les hommes comme pour les femmes : quelque part, dans l’univers, existe cet autre, ce complément, qui n’est là que pour moi. C’est un archétype universel que l’on retrouve dans les contes, dans les films, dans les dessins animés… Un processus entretenu en permanence depuis une trentaine d’années par la littérature, le cinéma, la télévision. Le seul ADN que nous ayons en commun, et qui fait qu’aujourd’hui nous espérons tous vivre des amours passionnées qui durent, presque, jusqu’à notre mort.

Durée de vie de la passion : 2 ans maximum

Faire des couples passionnels éternels est un fantasme occidental moderne. Autrefois, cela n’aurait effleuré aucun couple. Maintenant, nous l’espérons tous. Pourtant, la passion ne dure jamais, naturellement. Sa durée de vie est, en moyenne, de deux ans maximum. Mais, là encore, nous pouvons apprendre à la faire durer, avec la même personne, en réinventant régulièrement un couple passionnel, sur de nouvelles bases. Ce qui signifie de se rencontrer, par exemple, comme des amants, de manière ludique, et de s’amuser ensemble.

Ce mythe du prince et de la princesse charmants existe aussi chez les couples homosexuels. Cela dit, très souvent, les codes sont plus faciles à décrypter, et ils se comprennent mieux. Hommes et femmes n’ont pas du tout le même logiciel.

Ceux qui n’ont pas trouvé l’amour peuvent-ils encore y croire, quel que soit l’âge ?

Bien sûr. D’où ce livre. Il s’adresse tout particulièrement à eux. Si l’on accepte de faire des efforts, d’apprendre à s’ouvrir à soi et à la rencontre, et d’être fait l’un par l’autre et non l’un pour l’autre, tout est possible. Il n’est pas question de créer l’autre selon ses désirs, mais de se laisser transformer par une histoire commune.

Pour conclure, je reprendrais cette phrase de Jacques Chardonne : “Il y a un secret pour vivre heureux avec la personne que l’on aime : ne pas vouloir la modifier.” C’est dans la prise de conscience de ce “mouvement collectif à deux” que nous pouvons alors vivre la “vraie vie de la relation amoureuse”, comme dans un conte de fées.

* Un jour mon prince… Rencontrer l’amour et le faire durer, éditions des Arènes, avril 2014.

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