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Crise de la quarantaine : au secours, je suis mortel !

Dans son dernier ouvrage, Hector veut changer de vie, François Lelord aborde avec humour et bienveillance la crise du milieu de vie, entre 40 et 50 ans, quand on prend soudain conscience que le temps nous est compté.

Photo d'illustration © DR

Une vie, un métier, ne suffisait pas à François Lelord pour combler sa soif de connaissance et pour comprendre qui il est et, par un phénomène en miroir, qui est l’autre. Selon les circonstances, écrivain, voyageur, médecin, psychiatre, chercheur, il décrypte le monde et les êtres en essayant de découvrir, derrière chaque rencontre, le sens de l’existence. Une quête exprimée avec pudeur et délicatesse dans chacun de ses livres. L’un des plus connus, Le Voyage d’Hector ou La recherche du bonheur, paru en 2002 et vendu à plus d’un million d’exemplaires dans le monde, a montré sa capacité à se relier au cœur des hommes.

Dans ce conte poétique moderne, Hector, jeune psychiatre, voyage de pays en pays pour découvrir pourquoi les êtres humains ne sont pas heureux. Cette expédition intérieure lui fait prendre conscience que le bonheur ne se possède pas, ne s’achète pas ; qu’il résulte d’une aptitude de l’esprit, accessible à chacun, là où il se trouve, dans certaines conditions.

Mais, ce qui était vrai hier, l’est-il encore douze ans après pour Hector ? Il a vieilli et la crainte d’être passé, en partie, à côté de sa vie pointe son nez… D’où ce nouvel opus, dans lequel l’auteur se questionne sur cette fameuse “crise du milieu de vie” et sur ce qui permet de continuer à avancer sereinement, ou pas, quand on prend soudain conscience, et avec force, que nous sommes mortels. Entretien.

Lyon Capitale : Des casquettes différentes, symboliquement des identités différentes, est-ce pour mieux comprendre le monde ou pour fuir sa réalité ?

François Lelord © DR

François Lelord : De manière générale, pratiquer différents métiers, voyager dans de nombreux pays enrichit notre expérience, notre perception de la vie, nos connaissances. Très souvent, je me laisse guider par les opportunités qui s’offrent à moi et qui m’incitent à exercer de nouvelles activités ou qui m’invitent au voyage. C’est ainsi que j’ai découvert l’Asie il y a une dizaine d’années et que j’y vis, depuis, une partie de l’année. Les conditions matérielles s’y améliorent d’année en année. Le futur y paraît encore prometteur. Ce qui n’est plus le cas en France, où une grande inquiétude existe quant à l’avenir. Et cela change en profondeur la manière de vivre les uns avec les autres.
De plus, résider à l’étranger permet de se confronter à des valeurs, à des systèmes culturels et sociétaux autres. Ce qui conduit à se remettre en question, à poser un autre regard sur notre façon d’appréhender les choses en tant qu’Occidental. En s’extrayant de la routine, on apprend également à mieux se connaître, à découvrir nos limites et qualités. C’est fécond, vivant, enthousiasmant. Cela dit, certaines personnes très perspicaces et imaginatives, comme Jules Verne qui écrivit ses romans sans quasiment bouger de chez lui, n’ont pas besoin de grands changements dans leur existence pour concevoir la complexité du monde.
À chacun d’aller vers ce qui l’épanouit. C’est aussi cela le but d’une vie : aller vers ce qui nous rend heureux. Du moins en général. Certains y parviennent en ayant des activités intenses, d’autres en se satisfaisant de peu… En ce qui me concerne, j’ai besoin de voyager, d’écrire, de rendre mes proches heureux. C’est la somme de tous ces éléments qui répond à ma quête d’inspiration et participe à construire mon sentiment de bonheur, de contentement.

Au centre de votre dernier livre : la crise du milieu de vie… À quoi correspond-elle ?

La crise de milieu de vie se situe en moyenne entre 40 et 50 ans et touche 8 à 10 % de la population. D’après la plupart des études, elle concerne davantage les hommes que les femmes qui, pour la plupart, réévaluent naturellement, en permanence, leur existence.
Elliot Jacques, un psychanalyste canadien, a défini en 1965 cette crise comme étant le moment où l’on commence à prendre conscience que nous sommes mortels et qu’il n’existe plus d’infini des possibles. Si ce que l’on a réalisé jusqu’alors sur un plan personnel et/ou professionnel ne correspond pas à nos rêves de jeunesse, à nos désirs intimes, que l’on s’ennuie ferme dans notre quotidien, voire que l’on est un peu déprimé, il peut y avoir crise. Certaines personnes remettent alors tout en question – leur famille, leur travail, leurs valeurs – pour répondre, sans attendre, à leurs besoins du moment et être heureuses avant… qu’il ne soit trop tard. C’est alors très souvent radical, douloureux et perturbant pour elles et pour leurs proches.
D’autres procèdent à des modifications et réajustements mineurs qui leur permettent de continuer leur travail, leur couple, leur vie de famille, sans générer de trop grands bouleversements. D’autres encoreont une liaison, puis tout rentre dans l’ordre. Il n’y a ni à condamner ni à juger, mais à comprendre et à accompagner.

Quelle attitude adopter pour sortir sans trop de casse de cette crise “existentielle” ? Faut-il consulter un psychiatre, un thérapeute ?

Lorsqu’il y a crise, il est fondamental de commencer par l’accepter, sans culpabiliser, sans s’alarmer. Puis, de s’efforcer de ne pas rejeter en bloc son passé, de ne pas en faire une lecture négative, de ne pas oublier les bons moments et les souvenirs heureux qui ont précédé ce passage. Enfin, il convient de relativiser sur les possibilités que nous avions, ou pas, dans notre vie “d’avant”. En général, cette vie a été conforme aux dispositions intellectuelles, affectives, matérielles qui nous caractérisaient et aux connaissances que nous avions alors du monde. Penser que nous aurions pu la mener autrement est souvent une erreur et conduit à défaire, occulter, détruire ce que nous avons construit.
Se remettre en question ne signifie pas qu’il faille tout rejeter de soi, de son passé. Comme on le fait lors de certaines crises du milieu de vie dont l’état émotionnel, intense, empêche de prendre du recul. Quand c’est le cas, il est préférable de ne pas prendre de décisions hâtives, impulsives, mal préparées, radicales et irréversibles, de temporiser et, si c’est possible, de se faire aider. Par exemple en se faisant accompagner par un thérapeute expérimenté, bienveillant, en qui on a confiance. Cette démarche permet notamment d’apprendre à mieux se connaître, à évaluer précisément la situation et les possibilités qui s’offrent vraiment à nous, à accompagner la crise au sein du couple, de la famille, le divorce. Bref, à être dans le concret.
On peut faire des rêves un peu fous si on les prépare de manière raisonnable. Changer sa vie, par petites touches, en travaillant sur soi, en modifiant certaines choses dans le travail et dans ses activités familiales, peut suffire à apaiser les émotions, à passer le cap.

Quel est le message principal d’Hector dans ce livre ?

Dans ce dernier livre, les patients d’Hector – et Hector lui-même – incarnent quelques-unes des facettes que peut prendre cette crise du milieu de vie, selon les histoires et les personnalités de chacun. Leurs questionnements, leur manière de résoudre la crise montrent que ce type de crise n’est ni une maladie, ni un signe de faiblesse, ni un péché, et qu’il est somme toute assez banal d’éprouver un sentiment d’insatisfaction, de déception, de frustration, de colère, par moments, vis-à-vis de son existence. Pour y faire face, chaque personnage va devoir rester à l’écoute de ce qu’il ressent, éprouve, trouver sa propre voie vers le bonheur, et opter aussi souvent que possible pour des choix raisonnables.
Évoluer dans une partie de ses désirs et aspirations est inévitable au cours d’une vie. Nous pouvons tous être concernés par ce type de crise, par la valse des émotions qu’elle génère. Nous sommes rarement prêts à vivre ces transformations intérieures, y compris un thérapeute comme Hector. Mais, quand nous en sortons, quand nous avons terminé de la traverser, nous nous rendons parfois compte que cela peut être une formidable aventure à mener à deux ou en famille, et que les possibilités sont infinies. Le message principal d’Hector est donc d’inviter le lecteur, avec humour et tendresse, à dédramatiser, à relativiser, à être tolérant lorsque ce type de crise survient. Qu’elle le concerne ou qu’elle touche l’un de ses proches.

Hector veut changer de vie, éditions Odile Jacob, mars 2014, 221 pages.
Le Voyage d’Hector ou La Recherche du bonheur, Poches Odile Jacob, 1re édition 2002.

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