Créée en 2018 par Jean-Philippe Daguerre et récompensée par quatre Molière, la pièce Adieu Monsieur Haffmann est reprise sur la scène de la Comédie Odéon par une distribution 100 % lyonnaise. Un huis-clos où sont confrontés des personnages pendant l’occupation allemande, et qui vont peu à peu révéler leur vraie nature.
En 1942, Joseph Haffmann, bijoutier juif parisien, est contraint de se cacher pour échapper aux rafles des nazis. Il propose à son employé, Pierre Vigneau, de lui confier sa boutique en échange de son aide. Mais en retour, ce dernier lui fait une demande quelque peu incongrue : celle de faire un enfant à sa femme, Isabelle.
En cachant son ancien patron dans la cave, le petit employé voit une opportunité de revanche sociale. Celle de s’enrichir en reprenant l’affaire tout en se constituant une famille, malgré sa stérilité.
Sa femme, tout d’abord réticente, se révèle être un modèle de courage et d’empathie, tandis que le bijoutier, traqué, accepte petit à petit de participer à ce triangle ambigu.
Mais le lent poison de la jalousie va quelque peu bouleverser la donne et mettre en danger le bijoutier juif. D’autant que le nouveau maître des lieux semble se rapprocher de l’occupant nazi…
Les mécanismes de la déshumanisation
Tel un thriller, la tension augmente au fil de la pièce. Les personnages évoluent sur une scène sombre où les jeux de lumière parviennent à délimiter des différents espaces de la maison – cave, cuisine, salon - tout en nous plongeant dans l’univers pesant de l’occupation, grâce notamment a des extraits radiophoniques d’époque. Un réalisme historique nécessaire pour mieux comprendre les mécanismes de la déshumanisation de monsieur-tout-le-monde.
Mais le scénario, qui questionne notre attitude face à la collaboration, échappe pourtant à une vision manichéenne qui se contenterait d’opposer les héros aux lâches. Et c’est bien là toute la subtilité de la pièce de Jean-Philippe Daguerre, servie en cela par d’excellents comédiens.
Mention particulière à Bruno Fontaine – inquiétant et drôle dans la peau d’un ambassadeur allemand, ou Aurélie Camus, dans le rôle de sa femme française, dont les rires hystériques deviennent follement communicatifs.
Mais tous portent la pièce avec conviction. Les comédiens parviennent à restituer toute la complexité de l’âme humaine dans des situations où chacun doit composer avec l’instinct de survie et la morale. Tout en faisant preuve de dérision - tel monsieur Haffmann - comme pour conserver un semblant de dignité face à l’horreur de la déportation.
Ce très beau spectacle se construit dans une progression dramatique très bien ficelée. Il nous tient de bout en bout - entre émotion et rire - en nous emmenant jusqu’à une remarquable scène de dîner. Une séquence finale où chacun va faire tomber le masque, dans un dénouement jubilatoire.
Adieu Monsieur Haffmann jusqu’au 14 janvier 2023 au Théâtre Comédie Odéon.
Avec Philippe Awat, Aurélie Camus, Bruno Fontaine, Yohan Genin et Amandine Longeac