Rencontre avec Loulou Picasso à l'occasion d'une expo toujours fidèle à son état d'esprit libertaire.
Après ces années explosives, Bazooka a poursuivi sur la toile, avec unregardmoderne.com, un activisme politico-graphiste entamé plus tôt dans des fanzines. Ils sont les inventeurs, notamment, de la Fraternité des Précaires, sorte d'organisme virtuel et militant, dont la réalité, la vraisemblance et les objectifs sont toujours restés flous, le collectif se bornant à rendre globalement les frontières entre réalité et fiction, entre communication et vérité, toujours plus floues. Kiki et Loulou Picasso, figures du collectif, se sont retrouvés cette année pour un ouvrage imprimé et en ont également tiré une expo, qui arrive à Lyon. Un vent citronné et libertaire soufflera cet été, bienvenu en période de grosse chaleur. Et c'est Loulou Picasso qui se charge de revenir sur des années de graphisme radical.
Lyon Capitale : Kiki et Loulou Picasso se retrouvent sur papier, qu'est-ce qui vous a poussés à ce travail ?
Loulou Picasso : Cela faisait très longtemps que Kiki et moi n'avions pas fait de livre ensemble. On était présents sur Internet jusqu'alors, et on ressentait une sorte de nostalgie, on avait envie de retrouver l'efficacité de la presse ou du livre. On a toutefois décidé de monter un projet qui nous ferait travailler davantage sur le principe de peintures que sur celui de simples pages de livre. Et l'exposition nous permet donc de montrer cette façon de bosser. Ce sont de grands formats qui s'apparentent plus à des tableaux qu'à des planches originales de bande dessinée.
Le fil rouge reste-t-il l'actualité médiatique ?
Le principe est le même depuis des années, fondé sur une observation quotidienne des événements. Mais cette fois l'idée est de faire une peinture de paysage, une peinture plus générale du monde qui nous entoure. On évoque le travail, l'éducation des enfants, la sexualité... Il y avait, je crois, une certaine pertinence pour Bazooka à dresser une sorte de bilan, de panorama, surtout au niveau des médias et de la communication. L'idée, c'était aussi de voir quel portrait Bazooka pouvait faire de ce monde en crise. Dans une période où les gens ont peur de tout, et dans un langage sécuritaire généralisé, c'était intéressant de jouer avec ces communications de crises, d'entreprises et politiques.
Votre travail avec Libé vous a rendus célèbres mais l'histoire a été houleuse ?
Ce n'est pas vraiment ça, ça ne s'est pas si mal passé. On a travaillé pendant quatre ans avec eux mais on a quand même fait pendant six mois le quotidien, c'est-à-dire qu'on était tous les jours à la rédaction. Ce qui était intéressant, c'est que nos dessins faisaient polémiques tout de suite. On était confrontés à des comités de rédaction interminables ; certains voulaient que Bazooka soit exclu, d'autres que Bazooka reste. C'était une période un peu tendue mais on n'aurait pas pu travailler aussi longtemps avec eux s'il n'y avait pas eu toute cette passion. Pour tout vous dire, quand on est rentré à Libération, on voulait carrément modifier la maquette et faire un vrai journal moderne... Notre technique a toujours été la même, qu'on soit à Métal hurlant ou dans d'autres journaux [L'Echo des savanes, Hara Kiri, NDLR] : utiliser ces médias-là comme sujets de travaux, en poussant un peu les murs, en s'installant et en y faisant notre propre cuisine.
Quel regard portez-vous sur le graphisme et l'iconographie médiatique d'aujourd'hui ?
Le travail d'illustration dans la presse a considérablement changé, les journaux ne se fabriquent plus de la même façon. Aujourd'hui ce serait difficile pour Bazooka de réitérer, parce que notre intervention était sauvage, même si elle se faisait dans le cadre d'un quotidien qui a des horaires de bouclage, une technique de fabrication précise. Finalement on s'est demandé comment est-ce que, avec trois bouts de ficelle, un scotch un peu mis de travers, avec un dessin vite fait sur une photocopie, on peut créer quelque chose de différent et de surprenant pour le lecteur. C'était assez expérimental, peut-être de l'avant-garde. Les lecteurs, c'est marrant, nous sont restés relativement fidèles. Aujourd'hui, en terme de graphisme, notamment de propagande politique, il ne se passe pas grand-chose. Les affiches ont perdu beaucoup de sens, beaucoup de punch. Kiki et moi nous sommes rendus compte en faisant ce livre qu'on avait réellement le même plaisir à tout démonter puis à tout remonter, à l'envers. Non, sérieusement, pour nous, il y a toujours de la conviction.
Engin explosif improvisé, Kiki et Loulou Picasso. Du 9 juillet au 5 septembre, au Bal des ardents, 17 rue neuve, Lyon 1er.
04 72 98 83 36
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