Jusqu'au 28 janvier, le musée des Beaux-Arts de Lyon présente un ensemble d'œuvres récentes de Pierre Soulages, pour certaines jamais montrées. Une exposition exceptionnelle, qu'a parcourue pour nous le critique Didier Pobel. Voici le récit de sa visite au musée.
Il y a comme une étrange continuité à passer ainsi, aux confins de novembre, des terres fraîchement labourées de la Bresse et de la Dombes à l’exposition Soulages au musée des Beaux-Arts de Lyon. À peine, peut-être, les nuances marron d’ici se sont-elles, là, transformées en noir. Ou en blanc. Car, contre toute attente, l’immaculé – ou ce qui semble en tenir lieu – est également présent dans les œuvres récentes de celui auquel on associe pourtant, presque spontanément, l’inverse.
Mais le blanc est-il le contraire de cet “outrenoir” inventé par le peintre ? Pas plus sans doute que la terre retournée sous le soc ne s’oppose à son état précédent. Rainures, sillons, mottes dans le champ voisin. Stries, fissures, glacis sur les toiles où l’artiste va chercher, au tréfonds des ténèbres, la source même de la lumière, celle de l’origine qui sera aussi celle, foudroyante, des fins dernières.
De salle en salle, l’évidence s’impose : la démarche de Soulages est aratoire. Fermons à demi les yeux face à l’un de ses nouveaux polyptiques. Cet infime grain – de poussière, de charbon, de chaux… – perdu dans l’emblavure de la toile, c’est lui, c’est nous. Lui, le vieil enfant du Rouergue immigré à Sète ou à Paris, mais qui n’a pas plus oublié l’ombre des noyers de son “pays natal” que le voile crépusculaire laissé sur les doigts par le brou des coques vertes. Nous, qui ne cessons d’arpenter le cadastre d’éclairs noirs et blancs où s’inscrivent les fragiles encres sur papier marouflé de nos destinées.
À près de 93 ans, Pierre Soulages, métayer de nos domaines en perdition aussi bien que de nos territoires à naître, ne cesse de creuser, de herser, de semer. Et si nous marchons avec un tel ravissement dans son sillage, c’est que nous l’avons compris depuis longtemps : son inlassable quête de l’enfoui et de l’enfui ramène mieux que nulle autre au grand jour la clarté première qui nous aveugle.
Soulages XXIe siècle, exposition d’un ensemble d’œuvres réalisées entre 2000 et 2012 (dont certaines encore inédites), jusqu’au 28 janvier 2013, au musée des Beaux-Arts de Lyon.
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* Didier Pobel est écrivain, critique littéraire et membre du jury du prix Kowalski.
UNE CERTAINE ADMIRATION. C'est ce que j'éprouve à la vue des barbouillages de Monsieur Soulages. Je dois même dire, un certain respect, le même que je porte au Beaujolais. Car dans les deux cas, pour vendre aussi cher pendant aussi longtemps une marchandise aussi médiocre, alors que l'on a par ailleurs des artistes de grand talent et pleins d'inventivité... CHAPEAU, il faut être très fort.