Claude Vistel à son bureau au 6, rue Émile-Zola, à Lyon © Claude Vistel et ayants droit

Dans les archives de Lyon : Lyon, capitale… des comics

Dans quel domaine notre ville a-t-elle été précurseure ? De quelles manières s’est-elle affirmée comme un centre d’innovations scientifiques mondiales, de vitalité économique, de création artistique ou d’avancées sociétales ? À l’occasion de son trentième anniversaire, Lyon Capitale propose une rubrique en partenariat avec les Archives municipales de Lyon.

Après la Deuxième Guerre mondiale, Lyon devient l’épicentre de l’édition de BD populaires. À la fin des années 1960, la mythique maison d’édition Lug, à l’exceptionnelle longévité, sera, grâce au flair d’une femme, Claude Vistel, la première à diffuser les super-héros Marvel, comme Spider-Man, popularisant des personnages que l’on voit aujourd’hui partout.

Dessin à l’encre de Photonik par Ciro Tota, archives privées.

Les BD ont aujourd’hui le vent en poupe. Diffusées le plus souvent sous forme d’albums cartonnés, précieusement collectionnés par les lecteurs, il fut un tout autre temps où la BD jeunesse populaire, vendue en kiosque, imprimée sur de petits magazines pas chers, était le plus souvent jetée, après avoir été “consommée”. Dans les années 1930, le succès du Journal de Mickey, puis de Superman ou encore des westerns italiens entraîne la multiplication de ce genre de récits. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, plusieurs maisons d’édition se replient à Lyon, en zone libre, notamment la S.A.G.É, dirigée par Ettore Carozzo, un éditeur italien résolument antifasciste. Et, bien que ce dernier retourne à Paris après-guerre, de nombreux auteurs et dessinateurs se croisent ou travaillent chez lui.

La création de Lug

En 1950, deux anciens résistants Auguste “Alban” Vistel et Marcel Navarro créent les éditions Lug, épaulés par une troisième associée, Bernadette Ratier, elle aussi ancienne résistante, mais qui rapidement rallie Paris. Au début des années 1950, leur passé de résistants leur facilite l’accès aux stocks de papier, matière première qui souffre encore de pénurie. Auteur de plusieurs ouvrages, Auguste Vistel, surnommé colonel “Alban”, fait partie des grands noms de la Résistance. Rallié au mouvement Libération en 1941, commandant militaire de la région de Lyon, il entre à la préfecture du Rhône le 2 septembre 1944. Chez Lug, dont l’appellation rend évidemment hommage au nom gallo-romain de Lyon, Lugdunum, Vistel pilote avant tout la gestion de l’entreprise, laissant l’aspect créatif à Marcel Navarro.

“Durant cette période et jusqu’à la fin des années 1960, les éditions Lug rachètent surtout des histoires de westerns italiens, qu’elles adaptent et retouchent avec leur équipe de dessinateurs. Puis rapidement, elles développent leurs propres séries originales qui trouvent également le succès. L’adoption d’un format plus petit (13x18), avec plus de pages, lui aussi cartonne”, explique Michel Montheillet, dessinateur et auteur de bandes dessinées. Blek, Mustang, Rodéo, Yuma… au total près de soixante-quinze titres sont déclinés !

Mais Lug est loin d’être la seule entreprise lyonnaise à se positionner sur le créneau de la bande dessinée de kiosque et d’autres maisons, comme les éditions des Remparts ou Impéria, créent un important vivier. Toutes sont soumises au strict comité de censure, créé en 1949 sur les titres jeunesse, qui bien souvent conduit les équipes à édulcorer les histoires de peur de voir leur titre interdit. À la fin des années 1960, alors que les ventes de Lug s’essoufflent, sous l’impulsion de Claude Vistel, la fille d’Auguste, qui s’occupait alors principalement de traductions, l’équipe décide de racheter quelques licences de l’éditeur américain Marvel, qui n’arrive pas à se faire publier en France.

Strange 41, mai 1973, couverture de Jean Frisano © Disney

Première publication des Marvel en France

Les premières traductions de comics Marvel sont publiées en 1969 dans le magazine Fantask. Rapidement censuré, il est remplacé par les titres Strange et Marvel (ce dernier étant aussi interdit après son treizième numéro). Lug pratique un grand nombre de retouches et d’autocensures mais les premières publications Marvel suscitent un véritable engouement, les tirages s’envolant au plus fort, quelques années après, à 140 000 exemplaires par mois. “Si les éditions Lug ne sont pas les premières à publier des histoires de super-héros, ce sont les premières, grâce à Claude Vistel, à amener en France les super-héros de Marvel”, souligne Michel Montheillet.

Depuis 1962, les éditions Marvel* connaissent en effet aux États-Unis une véritable renaissance avec la création des Quatre Fantastiques, sous l’impulsion du duo Stan Lee et Jack Kirby, scénariste et dessinateur, mais aussi Spider-Man (publié en français sous le nom de L’Araignée), les X-Men ou encore les super-héros Iron Man et Daredevil… En 1972, alors que son père prend sa retraite, Claude Vistel devient rédactrice en chef, s’occupant principalement des comics en provenance des États-Unis tandis que Marcel Navarro se consacre aux petits formats italiens. Les titres repris par Lug arborent de superbes couvertures peintes par Jean Frisano, la maison continuant en parallèle à lancer ses propres titres.

Nova 3, avril 1978, couverture de Jean Frisano © Disney

Ainsi, en 1980, la revue Mustang de Lug qui publiait surtout du western est revisitée dans un format plus proche de Strange et inclut des aventures de super-héros créées par l’équipe lyonnaise, comme Photonik de Ciro Tota ou Mikros, une série imaginée par Jean-Yves Mitton et Marcel Navarro.

Ce monde de super-héros ne séduit pas qu’un public de garçons comme en témoigne Sonia Dollinger-Désert, directrice adjointe des Archives municipales de Lyon : “Dans les comics, on trouve des héroïnes aussi fortes que leurs alter ego masculins, comme la femme invisible dans Les Quatre Fantastiques. De simples faire-valoir, elles deviennent des personnages majeurs, dans lesquels on pouvait se retrouver.”

En 1989, Marcel Navarro prend sa retraite, les ventes en kiosque s’étiolent… Lug est vendue à Semic, un éditeur suédois. Sous le nom de Semic France, Lug demeure à Lyon jusqu’en 1999 avant d’être rachetée par les éditions de Tournon.


Pour aller plus loin 

Lug les archives – Michel Montheillet, album de 336 pages aux éditions Black and White.

Conférence : Lyon, capitale des super héros ? - Mardi 26 novembre à 18 h 30, avec Michel Montheillet et Ciro Tota, dessinateurs de bande-dessinée et scénaristes, aux Archives municipales de Lyon, gratuit sans réservation*

* La maison d’édition Marvel a été créée en 1939. Son grand concurrent depuis cette date est DC Comics, à l’origine des super-héros Batman, Superman, Wonder Woman.

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