Mourad Merzouki fête les quinze ans du festival hip-hop Karavel avec une programmation d’envergure qui sera l’événement chorégraphique de la rentrée.
Cette année, le festival Karavel investit de nouveaux lieux et pas des moindres : la salle 3000, le théâtre des Célestins et l’Auditorium de Lyon.
Fruit des collaborations que Mourad Merzouki ne cesse de développer pour démultiplier et brasser les publics entre le cœur de Lyon et la périphérie, la participation de ces scènes mais aussi la programmation donnent une ampleur inédite à cette édition.
Parmi les quarante compagnies accueillies, on pourra bien sûr découvrir des artistes émergents mais aussi des chorégraphes de renommée internationale qui présenteront leur création en avant-première. Parmi eux, on citera Kader Attou, Amala Dianor, Marion Motin, Fouad Boussouf sans oublier Sandrine Lescourant, Antoinette Gomis, François Lamargot, Lionel Djindot, Hafid Sour, Wanted Posse, Relevant…
À découvrir également deux compagnies primées lors de concours nationaux : OUPS Dance Company (lauréate Dialogues 2021) et Diving Leaf (lauréate Hip-Hop Games 2020). Karavel sera aussi l’occasion de voir Danser Casa, une pièce chorégraphiée pour de jeunes danseurs marocains par nos deux stars lyonnaises Mourad Merzouki et Kader Attou. Tout un symbole autour de l’histoire et l’avenir de la danse hip-hop !
Entretien avec Mourad Merzouki
Lyon Capitale : Quel regard portez-vous sur Karavel, quinze ans après sa création ?
Mourad Merzouki : Il est vrai que la première année de sa création, je ne pariais pas que ce festival évoluerait de cette manière-là. En quinze ans, on est passé de sept jours de programmation à un mois avec quarante compagnies invitées, le tout sur trente-trois lieux différents et vingt-deux communes.
Cela veut dire qu’il y a toujours des propositions de compagnies et de nouveaux chorégraphes émergents. Le festival est identifiable dans la métropole lyonnaise, le public est présent et nombreux mais il n’y a jamais d’évidence, il faut continuer à le séduire, le chercher, l’interpeler, c’est un travail qui restera incontournable, comme pour les autres structures et festivals d’ailleurs.
Le festival vous a permis de suivre l’évolution du hip-hop, qu’est-ce qui vous frappe d’un point de vue artistique ?
La place des chorégraphes femmes et des danseuses dans le hip-hop est devenue plus importante même si on a longtemps regardé cette danse comme essentiellement masculine. Elles apportent une nouvelle dimension avec leur corps, l’énergie, la sensibilité, le contact aussi, tout ce qu’il était difficile d’explorer avec les hommes.
Également une réflexion sur le rapport homme/femme, des propositions plus engagées, cela implique de nouveaux propos artistiques qui font évoluer l’approche des danseurs eux-mêmes sur le hip-hop. Concernant l’écriture de manière générale, je constate que de plus en plus de spectacles mettent de côté l’aspect virtuose qu’on aimait voir au début du hip-hop.
Et ce qui est bien, c’est qu’aujourd’hui le spectateur n’attend pas que ça. Je suis surpris de voir de jeunes chorégraphes travailler sur des mouvements minimalistes, répétitifs parfois avec aussi un rapport à la musique qui a beaucoup changé. On découvre des spectacles où il n’y a même pas de rythmes ou de musique hip-hop, avec des écritures qui s’aventurent aussi dans le texte, les mots. On n’avait pas tout ça à l’époque et pourtant les chorégraphes sont jeunes.
C’est intéressant de voir que pour leur première pièce, ils ne sont pas forcément dans un plateau chargé d’une succession de prouesses techniques. C’est aussi pour cela qu’il faut continuer à faire exister le hip-hop des battles avec les compétitions, elles sont complémentaires aux spectacles.
Ce qui me rassure aujourd’hui, c’est que la question ne se pose plus du côté des artistes de savoir s’ils s’éloignent ou pas du hip-hop originel, celui de la rue, ils font ce qu’ils ont envie de faire comme ils le ressentent.
"Quand on voit que la breakdance sera pour la première fois aux Jeux olympiques en 2024, c’est une vraie reconnaissance"
À propos de battles, vous voyez grand cette année avec la salle 3000.
Oui c’est vrai. Mais les battles se déroulaient à Bron avec un tel succès qu’il nous était impossible d’accueillir tout le monde, d’autant qu’il y a beaucoup de jeunes et de familles.
Cette année, le battle Can You Rock ?!, créée en collaboration avec le collectif Street Off, propose une version XXL qui rassemblera les meilleurs danseurs français et internationaux tous styles confondus pour le lancement du festival.
Avec cette salle, on espère atteindre un public plus large sur la métropole. La compétition est un rendez-vous plébiscité par le public et quand on voit que la breakdance sera pour la première fois aux Jeux olympiques en 2024, c’est une vraie reconnaissance.
Ce qui m’intéresse c’est de montrer qu’on ne met pas dos à dos la compétition et la création. La compétition, c’est aussi un moyen de dénicher de nouveaux talents et de voir comment, au fil des années, la gestuelle hip-hop évolue et nous surprend. Les danseurs sont en compétition devant un jury comme des sportifs de haut niveau, chacun défend son style – krump, popping, toprock, break ou encore locking – et c’est très stimulant pour eux.
Autre événement, vous faites défiler les danseurs sur de la musique classique avec l’Orchestre national de Lyon.
C’est la suite du défilé chorégraphique que nous avions fait à la préfecture de Lyon, dans un lieu où l’on n’imagine pas voir de la danse hip-hop. Sur le plateau de l’Auditorium, trente danseurs vont défiler avec un solo de trois minutes devant un jury et sur la musique proposée par l’Orchestre national de Lyon en live. Même s’il y aura un peu de musique hip-hop et électronique, elle sera essentiellement classique. C’est pour moi une manière de sortir les danseurs de leur zone de confort, de provoquer un contraste, de les bousculer et de proposer aux spectateurs quelque chose qui n’est pas évident.
Vous créez un focus sur la danse krump présenté au théâtre des Célestins. Pourquoi ?
Il y a de plus en plus de rassemblements, de danseurs s’intéressant à cette danse qui est presque une danse d’urgence, très engagée, viscérale où le danseur va vers une espèce de transe permettant d’exulter et qui est très puissante. Et c’est vrai qu’on a été surpris de voir à Pôle Pik la manière dont les cours de krump ont explosé.
On en parle beaucoup mais on connaît peu. Danse de l’underground, c’était pour moi le moment de la mettre en lumière en faisant appel à trois artistes incroyables qui en sont les figures actuelles et présenteront chacun un solo. Il y aura deux femmes Nach et Jekyde et un homme Grichka. Cela se passe aux Célestins parce que depuis Bron, Saint-Priest ou Vaulx-en-Velin, ce n’est pas un théâtre où le public pense forcément à aller. J’aime bien cette idée que ce théâtre soit ouvert et le faire découvrir à d’autres publics.
Des coups de cœur parmi les jeunes compagnies ?
La compagnie Mazel Freten, créée par d’anciens champions de France de danse hip-hop, Laura Defretin et Brandon Masele. Ils incarnent une génération de chorégraphes connectés qui apprennent les danses via les réseaux sociaux, ce sont d’excellents danseurs, d’une grande fraîcheur.
OUPS Dance Company, un duo de filles inclassables et engagées qui abordent l’acceptation de soi en alliant performance, humour et contorsion. Les danseurs lyonnais de Relevant qui ont remporté les Hip-Hop Games en 2020 et qui traitent de sujets sociétaux.
Et puis, bien sûr, on attend de découvrir la nouvelle création de Marion Motin, chorégraphe de Christine and the Queens qui revient enfin sur nos scènes…
Festival Karavel – Du 26 septembre au 23 octobre – Programme complet : karavelkalypso.com
Certains nommeront ceci "danse" , je pencherai pour "agitation désordonnée".