CRITIQUE – Attendu avec une pièce 100 % hip-hop, le chorégraphe Bouba Landrille Tchouda lance sur scène des corps transformés en boomerang pour rappeler la violence de notre société et la disparition de l’individu soumis au diktat du groupe.
Présentée par la Maison de la danse, Boomerang, la dernière pièce de Bouba Landrille Tchouda, rappelle que si l’objet auquel elle fait référence est aujourd’hui associé à l’idée de jeux, il était avant tout un instrument de chasse et de guerre, une arme de destruction massive. Illustré symboliquement par l’énergie des danseurs, il est le révélateur de ce qui détruit l’être humain : la violence, les désirs, les passions, le pouvoir, les frustrations, la colère. L’occasion pour le chorégraphe de nous embarquer dans une réflexion sur l’humanité qu’il vit à travers la chair de ses interprètes.
L’ouverture se fait dans un univers sombre avec en toile de fond une image de terre tout en aspérités, qui renvoie vers le sable dispersé au sol sous la forme de tâches picturales. Évoluant au contact des corps, elles seront le lieu des combats, de la transformation de la danse et des individus, maculant leur peau de traces de vie.
La danse apparaît avec l’émouvant solo d’un homme en état de larve qui s’extirpe de lui-même grâce à un hip-hop jouant sur la contorsion du corps, nous donnant par moments la sensation qu’il sort du ventre de sa mère pour se déployer, seul, au milieu d’une arène. L’arène, c’est la société, les autres que l’on voit traverser la scène dans des allers-retours annonciateurs de bouleversements.
Tchouda instaure alors des joutes, des courses, des affrontements entre les interprètes avec une danse qui va chercher l’énergie de la capoeira (danse de combat) et ses ancrages de pieds au sol qui convoquent la hargne et le toisement du regard, le corps en posture de guerre. Plus loin, à l’intérieur d’amples déplacements de groupe, il déstructure l’écriture en provoquant des heurts entre danseurs mais aussi avec la musique qui les stoppe dans leurs élans. Le son est violence, mais le son devient aussi conscience d’un corps jeté dans une course vaine.
Entre douceur, flux et reflux, la danse pulsionnelle
Le chorégraphe alterne des scènes au cours desquelles une partie du groupe se défie, laissant dans l’expectative l’autre moitié sur les bords du ring ; des scènes où les corps à corps sont autant en recherche d’amour que porteurs de divagations. À d’autres endroits, des corps sont hissés comme des trophées de victoires confinant à l’absurde tous ces moments de conflits et d’adversité.
La bande-son est parfois douce, entrecoupée de ce qui ressemble à des coups de feu continus. Ceux qui résonnent sur des lieux de guerre ou, plus proche, dans nos banlieues explosives. Le chorégraphe a volontairement construit sa pièce à partir de scènes qui n’ont pas forcément de lien entre elles, comme si la danse exprimait son propos par la pulsion, délivrant quelque chose de non palpable, qui submerge l’individu, une société chaotique, finalement sans véritable sens, qu’il faudrait repenser et relier.
Le propos est complexe et les danseurs, jeunes pour la plupart, donnent parfois l’impression que son sens leur échappe ; ils ne réussissent pas toujours à mettre leur énergie au service de l’acte chorégraphique, se laissant déborder par un état qui les rend absents de leurs corps. Mais le temps de l’appropriation viendra et, mêlé à leur belle générosité, il donnera à la pièce sa juste place entre tension et intention.
Boomerang nous offre des moments de danse véritablement intéressants. Avec ces corps qui, avant de se laisser engloutir, refont surface grâce à une gestuelle bondissante et féline, pour se raccrocher, sauvés, aux corps de ceux qui perdent alors le statut d’ennemi. Avec ses corps qui glissent au sol, abasourdis, impuissants jusqu’à ne plus bouger, morts ou faisant semblant de l’être. Bouba Landrille Tchouda reste fidèle à sa recherche d’une danse politique qui questionne ce qui fait ou détruit la société. Fidèle à ce que fut le hip-hop à ses origines, une danse qui laisse la place à l’expression humaine.
Bouba Landrille Tchouda / Boomerang – En tournée : le 22 novembre au théâtre Novarina (programmation de la Maison des arts du Léman) à Thonon-les-Bains, le 24 janvier au Château-Rouge à Annemasse et les 8 et 9 février à la MC2/Maison de la culture de Grenoble.