Très attendu avec Christoffa, sa première grande pièce, le chorégraphe lyonnais Davy Brun réussit à nous transporter dans un univers chorégraphique peu commun et d’une sensualité extrême.
C’est en travaillant, il y a deux ans, pour le ballet de Saragosse, que Davy Brun découvrit Colon, un CD de musiques espagnoles du XVe siècle dont le livret laisse supposer qu’elles ont été composées par Christophe Colomb. Intrigué, il mène des recherches sur ce célèbre personnage, pour finalement se rendre compte que personne ne sait rien de lui, si ce n’est qu’il est un grand navigateur. De là naît son envie de parler de l’inconnu et du connu, la part affichée et la part obscure de chaque être, une dualité qui sera le point de départ de cette pièce. Mais il découvre aussi que le prénom de naissance de Colomb en génois est Christoffa et il se met alors à imaginer que sa part la plus inconnue est son côté féminin. Élargissant ainsi son interrogation sur le rapport que l’homme a avec sa féminité, et la femme avec sa masculinité.
Une scénographie en dichotomie, noire et blanche
Dans une atmosphère sombre, avec des danseurs tous vêtus de noir, la danse de la première partie joue l’épure et la magnificence d’une écriture faite de solos, duos et trios. En cet endroit presque caché, les corps glissent, se cherchent, s’accrochent, se rejoignent, convoquent la distance et la précision, pour se fondre aussi dans des lâchers d’une sensualité extrême. Davy Brun appose des femmes et des hommes qui auront à faire avec eux-mêmes et avec l’autre. Très construite, l’écriture ne déstabilise pas moins notre regard. Car, si elle fait référence à un certain néo-classicisme, elle est souvent transformée en une gestuelle pleine de subtilité, de détournements et trouve son incarnation et sa modernité dans l’humanité que le chorégraphe extrait de ses interprètes. C’est aussi cela qui fait réussir l’alchimie entre la danse et la musique, la première renvoyant à la seconde une énergie et des émotions leur permettant d’échapper à un simple rapport esthétique.
La deuxième partie laisse la place au blanc, à la mise à nu et à tous les possibles. La musique contemporaine d’Eric Dartel amène la douceur d’un piano soumis à d’autres sons, plus sourds, qui martèlent l’envie de nouveaux désirs. Tout en esquisse, derrière des voiles suspendus, les corps se craquèlent, se démantèlent et tentent la reconstruction. Recentrée par la suite sur le devant de la scène, l’écriture de Davy Brun devient brute, tactile, sexuelle et laisse apparaître l’affirmation d’identités doubles conduisant notamment à de superbes corps à corps. L’altérité – fondement de son travail – donne à la chorégraphie la force d’une métamorphose. Faite de portés, de déplacements en groupe soutenus par les liens des bras et des corps entre eux, la danse permet à l’individu de se mesurer à la reconnaissance de l’autre, celle-là même qui le laissera émerger dans ses fragilités et son entité.
Un chorégraphe qui s’affirme
Avec Christoffa, sa première pièce constituée de 6 danseurs au plateau, Davy Brun – ex-danseur du ballet de l’Opéra de Lyon – pose véritablement ses jalons de chorégraphe. Son univers et son écriture s’étendent sur une terre inconnue. Le temps et la maturité de ce nouveau statut d’artiste permettront à son écriture de se peaufiner encore. De Christoffa, on retient par-dessus tout un souffle vital. Celui qui dirige la danse dans les moindres replis des corps. Celui des interprètes, dont la qualité et l’engagement sur scène sont loin des clichés esthétisants. Une danse qui prend son envol dans des pulsions tout aussi feutrées que violentes, et qui déroute.
Chritoffa de Davy Brun, jusqu’au 2 mars, au Toboggan (Décines). Les 7 et 8 mars à l’Opéra-Théâtre de Saint-Étienne, et le 29 mars au théâtre de Roanne.