La saison de la Maison de la danse démarre avec Moeder de la compagnie belge Peeping Tom, qui nous passionne par son univers à la fois hyperréaliste et quotidien, défiant toute logique de lecture d’un spectacle. Un univers à la David Lynch à ne pas manquer !
Les deux chorégraphes Gabriela Carrizo et Franck Chartier ont fondé en 2000 la compagnie Peeping Tom, dont l’esthétique emprunte au théâtre, au cinéma et à la danse. Elle explore un langage de la scène et du mouvement inspiré d’une réflexion sur la condition humaine, utilisant souvent l’isolement et l’enfermement pour créer un univers onirique. Le huis clos de situations familiales est une source importante de créativité et, depuis 2014, Peeping Tom a entamé une trilogie autour des membres de la famille : père, mère, enfants. On a déjà pu voir Vader, l’histoire d’un vieux monsieur vivant dans une maison de retraite dont les fenêtres, en hauteur, étaient inatteignables de son fauteuil roulant. Moeder (Mère), mise en scène par Gabriela Carrizo, est le deuxième volet de la trilogie, qui se terminera avec Kinderen (Enfants).
Corps mémoires
Cette création emmène le spectateur dans une série de lieux qui semblent familiers, comme un service de maternité, un salon funéraire, un musée… Des espaces où le privé et le public s’entremêlent et qui permettent de projeter les parcours du personnage de la mère. Le point de départ de la pièce est le deuil de la mère absente, laissant les danseurs expérimenter des états qui en sont la conséquence, comme le manque ou l’angoisse. Pour Gabriela Carrizo, les corps sont des réceptacles qui engrangent des souvenirs conscients ou inconscients, propices à la confusion, la souffrance, la folie, la mort, mais aussi la vie. Construite sur des souvenirs individuels de la chorégraphe et des artistes, la pièce fait émerger une mémoire collective qui libère également des réflexions troublantes sur la responsabilité et sur ce que signifie être femme, mère et parent.
Les sons associés aux souvenirs
Outre la mort de sa propre mère, un des points d’ancrage de cette création est la fascination de la chorégraphe pour la façon dont les sons provoquent des souvenirs, des associations d’images ou de situations qu’elle explore pour amener le public vers son univers. Dans Moeder, les sons sont intimement liés aux personnages, à la danse et aux objets. Gabriela Carrizo les amplifie pour ajouter à la révélation d’un univers mental, celui d’un corps viscéral qui lui aussi cache des peurs et des fantasmes. Les sons sont utilisés de façon presque cinématographique pour zoomer sur des situations et des personnages et permettre au public d’être interpellé de manière plus profonde. Mais, si Moeder révèle des névroses, des douleurs, elle n’est pas non plus exempte d’humour et demeure, à l’instar de toutes les pièces de la compagnie, remplie de tendresse et d’humanité, sans doute pour nous réconcilier avec nos violences intérieures.