Haïtien exilé au Canada puis à Miami, Dany Laferrière, auteur du roman culte Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, pratique une littérature oscillant entre autobiographie et romanesque.
Récusant les étiquettes d'écrivain francophone et/ou noir, cet “Américain” autoproclamé, incarne en tout point le thème de l'édition 2009 des Assises du roman : “Le roman hors frontières”. Interview sans visa.
Lyon Capitale : Lors de ces Assises, vous allez participer à la “Petite conversation avec des revenants” où un auteur réagit en public aux propos de grands écrivains disparus. Dans quelle mesure êtes-vous poreux à la littérature des autres ?
Dany Laferrière : La lecture n'est pas pour moi un miroir. Quand je lis, je ne le fais pas en tant qu'écrivain. J'ai commencé à lire bien avant de penser à écrire et j'espère rester un lecteur même quand je perdrai le goût d'écrire. Je n'aime pas forcément un écrivain parce qu'il me ressemble. Je suis loin de Borges, mon écrivain préféré.
Que l'on songe à votre vie ou à votre œuvre, le thème 2009 des Assises semble avoir été pensé pour vous...
Je ne suis venu à la littérature que parce qu'on m'a fait croire que c'était un territoire sans agent d'immigration ni douanier, ni aucune sorte de police. J'écris pour sortir de ma chambre, alors les définitions qui ne sont qu'un moyen subtil de tracer des frontières me semblent tout à fait pernicieuses.
Vous dites qu'une ville, un lieu, nous habite généralement quand on part vivre ailleurs...
Il faut une certaine distance pour bien voir ce qui nous intéresse. On ne voit pas le visage de l'être aimé qu'on cherche à embrasser. Il faut se détacher parfois pour mesurer les choses. La mémoire n'agit que s'il y a disparition. Ce manque s'inscrit alors dans chacune de nos cellules. Quand je suis dans une ville, je l'habite. Quand je suis ailleurs, c'est elle qui m'habite.
Ecrire est-il une manière d'habiter encore un peu ces endroits qu'on a quittés ?
Je me sens beaucoup plus d'affinités avec le temps (enfance, adolescence) qu'avec l'espace (Petit-Goâve, Port-au-Prince). Evidemment, comme dit Edouard Glissant, le lieu est incontournable. Le problème c'est qu'on le partage avec un grand nombre de gens, alors que l'émotion est unique.
Les écrivains voyageurs et les écrivains migrants sont assez friands de villes cosmopolites, de villes-mondes. Est-ce sciemment que vous avez choisi de vivre votre exil dans des villes constituant le point d'ancrage de nombreux immigrants, comme Montréal ou Miami ?
Je me suis retrouvé à Montréal parce que quelqu'un que je connaissais à peine a lu dans un journal que j'étais en danger et m'a envoyé un billet d'avion et une invitation à venir vivre à Montréal. Pour Miami, les Haïtiens y sont nombreux et j'avais des tantes là-bas. On croit circuler librement sur la terre, alors que votre chemin était tracé par ceux qui vous ont précédé sur la route. C'est en littérature qu'on peut faire sa route seul.
Dans votre dernier livre, Je suis un écrivain japonais, vous dites : “C'est bien d'écrire un livre mais c'est parfois mieux de ne pas l'écrire.” Votre œuvre est-elle riche de livres que vous n'avez pas écrits et au fond, pour un écrivain, y a-t-il une frontière entre écrire et ne pas écrire ?
Je peux dire qu'on écrit souvent trop. J'ai épinglé cette phrase en face de moi : “Chaque mauvais livre qu'on n'a pas écrit enrichit notre œuvre” (elle est de moi et j'en suis fier). Malheureusement, on tente à chaque fois de corriger les faiblesses du livre précédent en écrivant un nouveau livre où l'on retrouve de nouvelles faiblesses qu'on cherchera à corriger avec un autre livre, jusqu'à ce qu'on se noie dans l'encre.
En 2001, à la sortie de Je suis fatigué, vous sembliez décidé à arrêter d'écrire. Qu'est-ce qui vous a finalement poussé à arrêter d'arrêter d'écrire ?
Les fumeurs et les alcooliques qui tentent d'arrêter de fumer ou de boire reçoivent toujours l'appui de ceux qui les entourent. Alors que moi, malheureusement, quand j'ai voulu arrêter d'écrire, personne ne m'a appuyé. Cela a provoqué même la colère de certains. Ce n'est pas étonnant que je retombe dans le vice.
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Dernier roman paru : Je suis un écrivain japonais (éd. Grasset)
“Et vous, Dany Laferrière ? Petite conversation avec des revenants” Vendredi 29 mai aux Subsistances, Lyon 1er.
Dany Laferrière participera également aux "Fous du soir", un dialogue avec les écrivains Camille de Toledo et Neil Bissoondath sur le thème : "La littérature-monde ?" disent-ils... Jeudi 28 mai aux Subsistances.
Infos sur www.villagillet.net
Notre dossier spécial sur les Assises Internationales du Roman en cliquant icilien
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