De Tardieu à Pirotte, le passage des mots

En ces temps de morosité ambiante, le thème annuel du festival est "En rire(s)", soit l'humour dans la poésie.

A cette occasion, Lyon Capitale a choisi de fêter cet art délicat en mettant en avant, dans la pléiade de poètes présentés cette année, deux auteurs non dénués d'humour : Jean Tardieu, figure à laquelle rend hommage le Printemps des poètes et Jean-Claude Pirotte, lauréat du Prix Kowalski, qui nous a accordé quelques commentaires savoureux. Deux virtuoses des mots qui chacun à leur manière illustrent parfaitement ce qu'écrivait Tardieu : "écrire c'est dessiner et faire entendre".

Entretien avec Jean-Claude Pirotte "Grâce aux ombres je parviens à atteindre une lumière"

Cette année, le Kowalski, prix de poésie des plus importants en France qui a la lourde tâche de saluer le meilleur ouvrage poétique paru dans l'année, est remis à l'occasion du Printemps des Poètes. Le jury composé d'écrivains, d'universitaires et d'un élu de la Ville de Lyon (très impliquée dans ce prix le plus doté de France), récompense, pour l'année 2008, Passages des Ombres de Jean-Claude Pirotte aux éditions La Table Ronde. La vie de ce poète de caractère, âgé de 70 ans, est à elle seule une fable romanesque. En 1975, alors qu'il est avocat, il est accusé d'avoir favorisé la tentative d'évasion d'un de ses clients, ce qu'il réfute depuis toujours. Condamné, Jean-Claude Pirotte s'enfuit pour ne pas purger sa peine, et réapparaît tandis que les faits sont prescrits... Une errance qui marquera son œuvre composée de romans, de poésies et d'essais. Passage des ombres, son dernier recueil où Verlaine est tout près, subjugue par sa virtuosité classique. Pirotte décrypte au fil d'une promenade bucolique ses influences, les auteurs qu'il admire, "ses veilleurs" et son art poétique. Il nous livre quelques clefs de lecture de son recueil.

Lyon Capitale : Votre recueil célèbre de nombreux poètes (Jean Tardieu, Armen Lubin, André Frénaud, Pierre Jean Jouve, Henri Thomas...). Ces références permettent-elles de mieux saisir l'essence de votre art poétique ?
Jean-Claude Pirotte : Plus jeune, lorsque j'écrivais, je faisais du pastiche. Aujourd'hui je me suis nourri de mes nombreuses lectures et j'essaie, à ma manière, d'établir le dialogue. Je cite les auteurs et à partir d'une citation, je me retrouve moi. J'ai la volonté de transmettre à d'autres l'envie de lire les poètes qui m'ont influencé. Ils sont des "veilleurs" et moi, en les convoquant, je suis un peu le garant de leur mémoire... Mais je fais partie d'un courant poétique intimiste, c'est donc de moi qu'il est question à travers eux.

Dans Passage des ombres, il y a une ambivalence très forte entre l'ombre et la lumière, au cœur d'une lumière bucolique apparaissent l'errance et la mort, la lumière cherche-t-elle à dissimuler le tourment et l'angoisse ?
Depuis que j'écris, je considère que je ne me renouvelle guère... Je déroule un fil. Je ne me sens pas capable a priori de rentrer dans des considérations existentielles graves.

Pourtant vous le faites...
Je tempère l'angoisse et la noirceur avec l'humour. Je trouve qu'il est toujours plus facile de parler de son angoisse que de son bonheur ; d'où mon désir de lumière. Grâce aux ombres je parviens à atteindre une lumière. S'il n'y a pas de contraste, il n'y a rien... Et cela aussi bien en littérature qu'en peinture.

Vous faites partie d'une veine de poètes qui utilisent une musicalité classique et traditionnelle des vers, pourquoi ?
Jean Grenier, le philosophe qui fut le professeur de Camus, évoquait le fait qu'en littérature la tradition est toujours présente même lorsqu'on est dans la nouveauté car en étant moderne on s'oppose à ce qui existe déjà. En peinture comme en littérature, je suis très traditionnel, je m'inspire toujours de quelque chose qui existe. Je pense que la musicalité de la langue désamorce justement l'ombre qui envahit l'œuvre lorsqu'on vieillit. Une phrase musicale éclaire le côté noir du sens. La poésie a aussi un sens musical polyphonique comme une partition. La plupart des poètes aujourd'hui me trouvent ringard car je m'attache à des formes anciennes. Cependant, on recommence à lire de jeunes poètes pour qui la musicalité du vers est importante, alors...

Le Printemps des poètes, du 7 au 15 mars.
Le programme complet pour la ville de Lyon : www.espacepandora.org. Tél. 04 72 50 14 78.

Portrait. Jean Tardieu, "Humanité tu es mon paysage"

Accepter l'évanescence des choses que les mots désignent, l'évanouissement du sens... Telle est l'approche lyrique de Tardieu dans ses œuvres, à l'image du poète allemand Hölderlin. Il remet en question les genres (théâtre et poésie) et le langage dès son premier recueil, Accents. Poète et dramaturge originaire de l'Ain, Jean Tardieu a traversé quasiment tout le XXème siècle (1903-1995). Courbé sous un profond trouble existentiel survenu, selon lui, à l'âge de 17 ans, l'écrivain n'eut de cesse d'interroger cette expérience obscure, notamment dans Une voix sans personne (1954). Dès le début des années 1920, sa poésie rend compte avec simplicité et sensibilité de son incompréhension du monde. Paradoxalement à celle-ci, il insuffla un humour tendrement absurde à son œuvre comme dans ses Poèmes à jouer, des "drames-éclair" où le poète explore sa toute-puissance dramaturgique.

Les 13 et 14 mars, les rendez-vous autour de Jean Tardieu du Printemps de poètes (bibliothèque St Jean et médiathèque du Bachut).

Plus d'infos : www.espacepandora.org. 04 72 50 14 78.

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