Comme une réplique à l’assemblée de talents ayant présidé au tremblement de terre Shadow People en 2018, est né le super-groupe L’Épée, forgé dans la préparation d’un projet solo devenu collectif à force d’émulation. Emmanuelle Seigner au chant, les Limiñanas aux compos et Anton Newcombe à la baguette. Diabolique. Et en concert à l’Épicerie Moderne.
Ce devait être le prochain album d’Emmanuelle Seigner, ça sonne comme une nouvelle saillie des Limiñanas, ça a le goût et la couleur des productions du Brian Jonestown Massacre en chef Anton Newcombe. Eh bien, pour trancher dans le vif, L’Épée, c’est tout cela à la fois. Invités à la fabrique du nouveau fantasme rock de l’actrice, les Limiñanas se sont impliqués dans l’affaire jusqu’au coude et le producteur-musicien de génie américain a empaqueté le tout. Si bien que, sans le vouloir, cette petite troupe aussi dépareillée que complice nous a refait le coup de Shadow People, le disque qui a enfin fait sortir les Catalans garage de la brume néo-yéyé dans laquelle ils étaient restés trop longtemps cantonnés. À l’époque, soit l’an dernier, la Seigner était venue poser sa voix de Vénus à la fourrure sur quelque titre d’un album produit par Newcombe. Difficile de ne pas retrouver de très bonnes habitudes à l’heure de se remettre à l’ouvrage. Si bien que le projet de l’actrice devint rapidement collectif, au point d’être baptisé. Ce serait L’Épée donc et ce serait Diabolique, titre du rejeton discographique de ce ménage à quatre. Où l’on retrouve la formule du rock élimé des Limiñanas et la grâce hallucinée des productions newcombiennes, sur lesquelles Emmanuelle vient poser une sensuelle naïveté de lolita yéyé, chanteuse-aimant qui distribue aux importuns les “coups de krav-maga”. Et vogue le super-groupe dans une atmosphère de western surnaturel où grouillent les reptiliens, les dragons chinois et les cavaliers fantômes sous Une lune étrange d’un fantasme 60s.
On dansait avec elle
Ici, pourtant, point de revivalisme, juste des visions hallucinées à la remorque de la transe induite par l’échange de bons procédés psyché (la voix de vestale satanique de Seigner, les guitares maniaques de Monsieur Limiñanas, la batterie tribale de Madame et les boucles cosmiques de visions hallucinatoires portées par la transe instillée). L’époque rêvée est auscultée depuis la nôtre par le prisme d’une planche Ouija. Au milieu de cet abandon spirite, cette messe très noire, ce Rituel inhabituel, on croise même un revenant : le spectre sépulcral de Bertrand Belin (entendu sur le Dimanche de Shadow People), convoqué à l’invocation d’une irrésistible mais farouche déesse de la bacchanale (On dansait avec elle) et à l’écriture de deux autres titres, Lou et Grande.
Ce qu’il y a d’infiniment beau sur ce Diabolique, c’est la manière avec laquelle communient ces disciples venus d’horizons divers, où l’on découvre, si on l’ignorait après ses sorties avec Ultra Orange, la pesanteur rock derrière le glamour de l’actrice ou la passion très premier degré de Newcombe pour les yéyés français, qu’il défend régulièrement bec et ongles dans la presse. Tout comme il célèbre la profondeur d’un Belin, qualifié par lui de Nick Cave blanc. Au milieu, les Limiñanas, qui à force d’y aller font office de mastic de l’ensemble. D’un alliage de talent s’est forgé un groupe, un vrai, qu’on aimerait enchâsser dans un roc(k) arthurien pour que jamais ne lui prenne l’idée de se dissoudre.