Rapides de Bruno Benne par la compagnie Beaux-Champs © F. Stemmer

Entretien avec Bruno Benne, chorégraphe : “J’enlève tout l’imaginaire que l’on a du baroque”

Spécialisé en danse et musique baroques, Bruno Benne réinvente ces arts dans des formes nouvelles et révèle la richesse de cet héritage.

Programmé à la Maison de la danse dans le cycle Histoire(s) de la danse, le chorégraphe Bruno Benne, qui fut l’interprète de deux figures majeures de la danse baroque – Béatrice Massin et Marie-Geneviève Massé – présente Rapides en s’appuyant sur les suites de la Water Music de Haendel. Inspirée des mouvements d’eau jaillissant des jeux de fontaines baroques, cette pièce est une merveille qui, derrière une apparente simplicité, revêt une incroyable technicité, déployant une danse subtile et joyeuse, d’une grande modernité, sur une musique augmentée par les arrangements de Youri Bessières.

Lyon Capitale : La danse baroque s’est imposée au XVIIe siècle avec Louis XIV, quelle était sa particularité ?

Bruno Benne : Aujourd’hui quand on parle de danse baroque, on parle d’un style contemporain réinventé il y a 50 ans mais qui s’appuie sur les travaux réalisés à l’époque par les maîtres à danser durant le règne de Louis XIV. En créant l’Académie royale de danse en 1661, il leur a demandé de codifier la danse et donc d’inventer un système de notation, comme pour la musique. Sa pratique a disparu puis est réapparue avec le renouveau de la danse et de la musique baroque dans les années 1970. Elle était dansée par la noblesse, la cour, s’inspirait de danses du peuple et de pas folkloriques, on l’appelait “belle danse” non parce qu’elle était jolie, mais parce que c’était la danse en vigueur à cette époque et avec Louis XIV, elle est un art majeur. La France deviendra la référence de ce style et, grâce à la notation, les partitions de danse furent envoyées partout en Europe.

Et au niveau de la gestuelle ?

Elle innova dans le fait de travailler sur l’en dehors, avec les pieds non plus parallèles mais en canard, la coordination des bras avec les jambes, les poignets et ronds du coude qui soulignent certains moments de la danse. Le torse est souvent droit avec un travail sur la verticalité qui rejoint celui sur l’élévation et le poids. C’est une danse avec laquelle Louis XIV s’impose en monarque absolu, en tant que roi de droit divin qui établit une connexion entre la terre et le ciel. Mais les corps n’étaient pas aussi libres qu’aujourd’hui, engoncés notamment dans les costumes. Il faut surtout rappeler que c’est une danse composée simultanément à la musique car à l’époque les compositeurs de ballets n’ont pas de chorégraphes. S’aidant du système de notation, ils composaient aussi la danse. Le corps baroque est vraiment un corps musical avant tout !

Votre démarche artistique consiste à réinventer la danse et la musique baroques, comment cela se concrétise-t-il ?

Quand les artistes de l’époque ont développé cette technique, ils étaient en permanence dans l’innovation car ils voulaient toujours surprendre. Pour leur rendre hommage et les faire vivre aujourd’hui, je m’approprie leurs concepts et les modernise. J’enlève tout l’imaginaire que l’on a du baroque, les décors, les costumes, pour m’attacher uniquement à la matière chorégraphique dansée qui devient comme le squelette d’une partition. Je cherche à voir ce que cette danse peut raconter aujourd’hui et surtout à comprendre les modes de composition des artistes de l’époque, sur lesquels on peut encore s’appuyer. Je me suis senti très libre quand j’ai commencé à travailler sur les partitions de suites de l’époque car elles sont lacunaires, il n’y a pas beaucoup d’informations et si on prend une page seule, on peut se mettre en danse et chercher à l’inventer autrement. Sans être musicien, cette danse m’a relié très fortement à la musique et ce n’est pas fréquent en danse contemporaine.

Comment s’est faite l’élaboration de Rapides ?

Je voulais une pièce de groupe, musicale et joyeuse, quelque chose d’édifiant qui permettait une variation de recherche de chorégraphies et que les danseurs aient du plaisir à danser. Les suites sont courtes et moi j’ai besoin de temps pour développer les concepts et les motifs chorégraphiques. Avec le compositeur Youri Bessières, on a travaillé, en amont, une bande-son que je souhaitais plus complexe que celle de Haendel. Je lui ai demandé d’ajouter des boucles pour développer les déplacements de la danse sur le principe de la répétition modulaire. Puis, j’ai construit mon architecture chorégraphique avec des choses très symétriques et très fluides, m’appuyant sur les mouvements de l’eau, à la fois très organisés comme l’art de composer baroque et en même temps libres comme quand on a un ruisseau qui s’écoule, avec aussi des choses bouillonnantes. On a gardé ce corps baroque, centré, tonique, avec des mouvements très axés et qui rentre en relation avec les autres danseurs du fait de son parcours dans l’espace, mais on lâche aussi bien sûr.

Le public lyonnais n’a pas vu de danse baroque depuis longtemps, que voulez-vous lui offrir ?

Je veux lui montrer que c’est une danse qui permet de comprendre comment on danse aujourd’hui, l’éclairer sur une danse qui pourrait être historique alors qu’en fait elle est complètement actuelle. Redonner, avec un regard contemporain, cette vision orchestrale de la danse qui est rare. Dans mes pièces, il y a peu d’unisson, le danseur est comme un musicien dans un orchestre, chacun a sa propre voix, chacun est garant de ce qui se construit ensemble et pour moi cela fait société. On est tous garants, par nos actions, du vivre-ensemble et le groupe est important pour cette vision orchestrale que j’ai de la danse.

Rapides - Bruno Benne – Les 23 et 24 janvier à la Maison de la danse

À noter : le musée des Beaux-Arts propose une conférence et des visites chorégraphiées et la Maison de la danse un Baroc’bal.

Programme complet : maisondeladanse.com

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