© J. F. Paga

Entretien avec l'écrivain Marc Lambron : “Macron est un elfe shakespearien”

Académicien, journaliste, romancier (auteur de L’Œil du silence, prix Femina 1993), Marc Lambron est aussi un formidable diariste. Son journal, L’année du Coq de Feu, qui couvre la période de janvier à décembre 2017, en témoigne. Entretien.

Lyon Capitale : Votre journal de l’année 2017 sort au début de l’année 2022, on passe ainsi d’une année électorale à une autre…

Marc Lambron : C’est absolument délibéré. Je crois qu’un journal vaut autant par le moment où il est écrit que par le moment où il est publié. C’est comme un bon vin, avec le temps, il prend du corps, du tanin. Le temps est un très bon coauteur. Il permet une mise en perspective. Un contrepoint sur ce qui nous sépare d’un récent passé.

Vous ne cachez pas votre admiration pour Emmanuel Macron…

J’avais déjà de la sympathie pour lui auparavant. Je l’avais rencontré en 2016 quand il était ministre de l’Économie. Très vite, j’ai senti que c’était plié pour le traditionnel affrontement bipolaire droite-gauche. La droite était plombée par le candidat Fillon, un vrai personnage chabrolien, notable de province dont les petits trafics sont dénoncés. Et la gauche prenait une tendance vénézuélienne sous l’influence de Jean-Luc Mélenchon. J’ai été le témoin ébahi de ce qu’il se passait. Par contraste, par élimination même, le personnage d’Emmanuel Macron s’est imposé de plus en plus. Il y a en lui une sorte d’elfe shakespearien dansant sur les pointes.


"Macron a cette sensibilité littéraire mais Mélenchon aussi. Et dans l’actuelle campagne, en plus, vous avez Christiane Taubira qui se réclame d’Aimé Césaire. Ou Éric Zemmour qui cite à maintes reprises de grands écrivains"


Comme pour François Mitterrand et le général de Gaulle, vous distinguez en lui un surmoi littéraire…

Oui, c’est intéressant parce que ça revient aujourd’hui. Il y a toujours eu une transcendance littéraire dans la politique française. Ça ne date pas d’aujourd’hui, il y a sans cesse eu des écrivains dans les cercles du pouvoir, on peut même remonter jusqu’à Saint-Simon, intime de la cour. Macron a cette sensibilité littéraire mais Mélenchon aussi. Et dans l’actuelle campagne, en plus, vous avez Christiane Taubira qui se réclame d’Aimé Césaire. Ou Éric Zemmour qui cite à maintes reprises de grands écrivains.

Vous habitez à Paris mais vous revenez régulièrement à Lyon voir votre mère, vous connaissez bien Gérard Collomb, comment avez-vous vécu la victoire des écologistes aux municipales ?

Là, nous sortons du champ de mon livre puisque ce que j’y écris porte sur Gérard Collomb alors qu’il était encore maire. Ou quand il passe la main à Georges Képénékian pour devenir ministre de l’Intérieur. Tout ce que je peux dire sur la nouvelle municipalité, c’est que j’ai reçu des vœux de leur part, je dois encore être dans leur fichier, qui débutaient ainsi : “Cher.e Marc”. Moi qui suis de la génération David Bowie, Roxy Music et du queer, j’ai été ravi de voir que la mairie de Lyon prenait en compte ma part féminine…


"Imaginez que l’on réécrive en écriture inclusive les lettres de madame de Sévigné ou les romans de Colette, de George Sand"


Mais à l’Académie française, vous vous êtes fermement opposé à l’écriture inclusive…

Je ne crois pas que la lutte pour l’égalité des sexes doive passer par l’ajout de point ou de “e”. Imaginez que l’on réécrive en écriture inclusive les lettres de madame de Sévigné ou les romans de Colette, de George Sand… Elles n’ont pas eu besoin de cette invention de concours Lépine pour faire passer du féminin dans la langue française. Il y a une écologie de la langue. C’est comme un jardin à l’anglaise. Il faut aborder la langue avec respect sans chercher à la brutaliser. Les tenants de l’écriture inclusive me font penser à ces architectes fous des années soixante qui rasaient les forêts pour y mettre des immeubles.

Continuez-vous à écrire régulièrement votre journal ?

Non, cela correspond à des périodes. Mais durant le confinement, je me suis remis à prendre des notes. Un journal, c’est un peu comme un roman vrai, pour reprendre l’expression d’Aragon. Le réel vous fournit des personnages, des profils, des silhouettes, des événements parfois plus étonnants que ce que l’on aurait pu imaginer comme romancier. Le seul fait de consigner, de photographier ce qui arrive donne un effet de roman. Je ne regrette pas d’avoir tenu un journal en 2017 plutôt que d’avoir écrit un roman.


2017, année politique, mais pas que…

Si dans son journal, L’année du Coq de Feu, Marc Lambron tient la chronique de tous les événements qui permirent à Emmanuel Macron de remporter les élections, ainsi que celle de ses premiers mois à la tête du gouvernement, il ne se limite pas à cette seule vision politique. Le livre est copieux, il compte plus de 700 pages. Que l’on dévore avec gourmandise. Quand Marc Lambron dîne (“il faut bien se nourrir”, dit-il), c’est souvent avec des artistes de renom (il faudrait une dizaine de pages pour les citer tous).

Le rythme est étourdissant, entre le milieu culturel parisien dont il aime souligner l’intelligence mais aussi la cruauté et la sagesse lyonnaise qu’il retrouve quand il revient visiter sa mère, on ne s’ennuie jamais. Curieux personnage mais surtout curieux de tout, Marc Lambron n’est jamais rassasié de concerts, de livres, d’expos, de films, de reportages et de conversations. La sienne est brillantissime, son livre davantage encore.


L’année du Coq de Feu, Marc Lambron, chez Grasset


 

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