Nicolas Mathieu est l’une des têtes d’affiche de la Fête du livre de Bron 2019. C’est d’ailleurs lui qui l’ouvre, ce mercredi, à l’espace Albert-Camus. Entretien avec le lauréat du dernier prix Goncourt.
Lyon Capitale : Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris que vous étiez le lauréat du prix Goncourt 2018 ?
Nicolas Mathieu : J’en ai été surpris ! Je lis la presse, je savais donc que je n’étais pas du tout le favori. D’autant qu’Actes Sud, ma maison d’édition, l’avait déjà obtenu l’année dernière [pour L’Ordre du jour, d’Éric Vuillard, NdlR]. Surprise, vertige, et surtout, aujourd’hui, beaucoup de voyages.
Votre quotidien en est changé ?
Oui, c’est hallucinant ! Le livre a été bien accueilli lors de la rentrée littéraire, j’ai bénéficié d’une bonne presse. J’avais déjà pas mal de sollicitations, d’invitations. Mais là, c’est un déferlement ! La grande nouveauté pour moi, c’est d’apprendre à dire non.
Ne craignez-vous pas l’après-Goncourt ?
Non, je ne crains pas le vide après la tempête, un phénomène de décompensation… Ce que je crains, c’est de ne pas parvenir à retrouver de la disponibilité pour me remettre à écrire. Le poids du Goncourt ne va-t-il pas me couper les pattes ? Ne vais-je pas me demander, à chaque fois que j’écrirai, si telle phrase est bien une phrase digne d’un Goncourt ? Pour ce qui est du vedettariat actuel, je sais que c’est temporaire. Et je ne me confonds pas, moi en tant que personne, avec cette institution qu’est le prix. Les gens s’intéressent au Goncourt plus qu’à moi, il y a une distance dont je reste conscient.
Il y avait une attente sur Philippe Lançon, qui a publié Le Lambeau…
Il y avait un mouvement des lecteurs, des libraires, des journalistes en sa faveur. Mais il n’apparaissait pas sur la première liste du Goncourt. Je suis en train de lire Lambeaux, c’est un grand livre. Et qu’il ait tel ou tel prix est finalement secondaire. Il est promis à un destin plus vaste. Il pose des questions essentielles sur notre temps, sur la littérature. Toutes proportions gardées, c’est un peu comme si on disait : c’est quand même dommage que Primo Levi n’ait pas eu le Goncourt.
Comment est venue l’idée de votre roman ?
Le livre est à la jonction de deux envies. Dans mon premier et précédent roman, Aux animaux la guerre, il y avait des personnages d’ados que j’avais un peu abandonnés, à mon corps défendant. J’avais envie de retrouver des personnages jeunes, d’écrire un roman d’apprentissage. D’autre part, j’étais taraudé par le désir de reprendre le sujet que j’avais également abordé dans mon premier livre : la fin de la classe ouvrière. Il y a donc ces deux choses, la fin d’un monde et les débuts dans la vie de jeunes gens dans une vallée du nord de la France.
On a parlé de roman social, vous reconnaissez-vous dans cette définition ?
C’est un roman social et politique, mais comme le sont, par exemple, Madame Bovary ou L’Éducation sentimentale. Un roman social, ce n’est pas un roman militant. C’est un roman attentif au fonctionnement d’une société. Comment on circule d’une classe sociale à l’autre, comment on peut être isolé tout en appartenant à un milieu particulier, comment tout cela s’articule…
Quelles sont vos références littéraires ?
Madame Bovary, L’Éducation sentimentale, Voyage au bout de la nuit…, Annie Ernaux, Les Années… J’ai beaucoup lu les écrivains américains – Steinbeck, Larry Brown… – mais aussi le polar français, des auteurs comme Jean-Patrick Manchette.
Justement, votre roman peut être lu comme un roman noir…
Oui, il y a un vol de moto, un pistolet qui circule. La violence affleure. Au départ, j’étais parti, comme pour mon premier livre, pour écrire un roman noir. Un roman noir, c’est un roman de la crise, selon la définition de Manchette. Mais, chemin faisant, la chronique l’a emporté sur l’action. Sans doute la volonté de restituer le réel a-t-elle éloigné les codes du polar, mais ce n’est pas délibéré.
Vos personnages appartiennent à cette France périphérique, celle des Gilets jaunes…
Ce mouvement ne me surprend pas. En effet, on aurait pu retrouver certains de mes personnages avec un gilet jaune. Ils se voient comme les éternels cocus de la mondialisation. Ils se sentent oubliés, méprisés, quelquefois à juste titre. Ils ont l’impression que demain ne sera pas une bonne nouvelle. Ils en tirent un profond dépit, et même une rage folle. Ce refoulé-là n’est pas près de s’éteindre. Mais le propos du romancier ne doit pas être de commenter l’actualité à brûle-pourpoint, plutôt de dire ce que ces gens vivent.
Votre style est imagé, percutant…
C’est que c’est un style qui me ressemble. Il y a un parler populaire, cash, proche du langage de la rue. Et puis il y a une langue beaucoup plus articulée, savante, analytique. Cela correspond à ma position dans la société. Je viens d’un monde pas forcément cultivé et j’ai lu beaucoup, j’ai fait des études. Il y a une tension, des allers-retours entre ces deux pôles. Par ailleurs, je cherche à fixer les sensations corporelles par rapport aux paysages, aux conditions météo, aux relations entre mes personnages.
Vous faites l’ouverture de la Fête du livre de Bron, le 6 mars. Programme de la soirée ?
Je ferai une lecture musicale avec Florent Marchet, qui est chanteur. Je lis des textes tirés de la première partie du livre, qui entrent en écho avec des morceaux de Florent. Ils parlent des premiers émois, de la découverte amoureuse. Nous avons des univers qui sont très proches.
Au-delà, quels sont vos projets ?
Je viens de finir de corriger une longue nouvelle, écrite cet été. Et j’ai posé trois paragraphes sur une feuille, d’un futur troisième roman. Plus pour me donner bonne conscience qu’autre chose. Je manque de temps, et d’énergie.
Nicolas Mathieu & Florent Marchet / Leurs enfants après eux – Lecture musicale, mercredi 6 mars à 20h30 à l’espace Albert-Camus (Bron)
GONCOURT DE CIRCONSTANCE…