Entretien avec Philippe Torreton "L'UDF, c'est le paillasson de l'UMP"

Le comédien, très engagé dans la campagne présidentielle aux côtés de Ségolène Royal, jouera à Lyon jusqu'au soir du premier tour, le 22 avril. Entretien avec un esprit libre, enflammé par la politique.

Lyon Capitale : Qu'est-ce qui vous a séduit dans Du malheur d'avoir de l'esprit, pièce très méconnue en France ?

Philippe Torreton : C'est une pièce plus noire, plus folle, plus baroque que Le Misanthrope de Molière. Une pièce que je ne connaissais pas avant que Jean-Louis Benoît ne me la propose ; j'ai d'ailleurs été sidéré de voir que c'est un immense classique russe ! J'aimais bien l'histoire de cet homme braqué sur une fille, qui cristallise un amour idéal, peut-être un peu trop. Et qui, en même temps, a une lucidité cruelle sur le monde, ce monde qui va le faire passer pour fou pour éviter de réfléchir à ce qu'il soulève.

Vous retrouvez-vous dans le personnage de Tchastky : "un homme en colère, entier, habité, plein d'énergie, au bord de l'explosion" ?
Oui bien sûr, et heureusement ! J'espère que toute l'humanité n'est pas piquée par la mouche tsé-tsé. Je ne vois pas comment on peut être dans ce monde-là et ne pas avoir des sujets de colère, des envies de s'exprimer. Mais contrairement à lui, moi je sais me tenir ! Je me sens plus diplomate que Tchatski. Je n'explose pas, comme ça, en pleine réception ; je n'ai pas fait de scandale dans les dîners parisiens !

Pourriez-vous être tenté, comme Tchatski, de chercher un refuge, de fuir le monde et les hommes ?
Parfois, oui. C'est la fameuse tentation de Venise d'Alain Juppé... Mais très vite, ça s'évapore, parce que là où je suis heureux, c'est dans le combat, avec mon métier, mes envies de rôles, mes expressions, dans le combat politique aussi...

Quand vous avez joué Richard III, Sarkozy était venu voir la pièce et vous avait confié qu'il y avait trouvé "des messages subliminaux"... J'imagine qu'il ne vous a pas rendu visite à Chaillot ?
Non, non ! Mais j'aurais trouvé ça bien qu'il vienne. Ceci dit, nos points de vue sont tellement opposés que je ne vois pas bien où aurait pu mener une discussion. Et puis le théâtre, ce n'est pas sa tasse de thé.

Vous avez tourné quatre films avec Bertrand Tavernier. Vous sentez-vous dans une sorte de "filiation" avec cet artiste engagé, cet homme en colère ?
Sur la liberté de parole, oui ! Mais je me sens plus politique que lui. Par exemple, j'aurais bien aimé qu'il nous fasse part, par n'importe quel canal, de ce qu'il pense des différents candidats. Mais bon, il est en tournage aux Etats-Unis... Il a un engagement qui reste plus sur des combats très précis, via des réseaux associatifs, et il a raison ! Mais moi, j'ai encore confiance en la politique !

On vous a vu prendre un plaisir évident à la tribune de meetings de Ségolène Royal. D'où vous vient ce goût pour la politique ?
Depuis longtemps ! J'ai toujours écrit des programmes politiques. J'ai toujours rêvé : si j'étais président de la République, qu'est-ce que je ferais pour les prisons, pour les pauvres, etc. J'ai toujours fait mes gouvernements idéaux : quand j'étais lycéen, j'étais fan de Michel Roccard, je le mettais partout ; si j'avais eu le pouvoir de réveiller certains morts, j'aurais repris Mendès-France... chaque fois qu'il y avait un problème interne à la France ou mondial, je me demandais ce que je dirais si on me tendait un micro, ce que je ferais... Je me suis toujours mis à la place d'un homme politique, président ou ministre, député ou maire.

Qu'est-ce qui plaît en Ségolène Royal ?
C'est son ancrage social et son ancrage écologique. Elle fait la synthèse que j'attendais depuis longtemps. J'ai toujours été écolo : j'ai soutenu Mamère en 2002 et j'ai toujours été à gauche. Je pense que quand on est préoccupé par le social, et qu'on veut une politique volontariste là-dessus, ça s'inscrit à gauche, de toute façon. Y compris dans la démarche culturelle, on le voit bien : faire en sorte que de plus en plus de gens aient accès à la culture, je pense que c'est un raisonnement de gauche.
Pourtant, Ségolène Royal, comme les autres candidats, s'est peu exprimé sur la culture.
Non, je ne suis pas d'accord ! Elle a dit qu'elle voulait remettre les disciplines culturelles dans le cursus des élèves au sein de l'Education nationale. Pour moi c'est quasiment une révolution tant la droite a flingué toutes les initiatives qui allaient dans ce sens. Il faut éveiller à la culture dès le primaire. Pour montrer que l'école n'est pas une sorte de bourrage de crâne de formules. Pour moi, ça a été une soupape de faire du théâtre à l'école !
Le but n'est pas de former des milliers de futurs musiciens ou acteurs, mais de bien vivre le moment où l'on est à l'école. Le déficit de reconnaissance des élèves est énorme quand ça ne passe que par les notes. Multiplier les pistes, par la culture, par le sport, ça ouvre un champ d'expression pour un élève, un exhutoire et une possibilité de briller. A partir de là, on peut reconquérir des choses.

Faites-vous partie du mouvement "Tout sauf Sarkozy" ?
Ah oui ! Parce que cet homme avance à visage couvert, et que la France qu'il nous prépare est une France que je ne veux pas. Je n'aime pas cette division entre ceux qui auraient envie de travailler et ceux qui n'auraient pas envie de travailler. Je n'aime pas la façon dont il vient de gérer le dossier des sans-papier, dans une sorte de clientélisme absolu. Avec Sarkozy, c'est le fait du prince partout : il sort d'une émission de télé où monsieur s'est senti un peu agressé, et tout de suite c'est des menaces : "quand je serai président je vais vous virer, etc". C'est le règne de la menace, de l'intimidation : le nombre de journalistes qui se font emmerder par des coups de fil, ou de lui directement, ou de ses sbires ! Il s'installe comme une sorte de chef de clan rayonnant qui lâche les chiens régulièrement, qui flatte d'une main et qui tape de l'autre. Et je n'aime pas ça.

Vous avez récemment fustigé "la façon éhontée et unique dans l'histoire de la République" dont les médias soutiennent Nicolas Sarkozy. N'êtes-vous pas influencé par TF1 que vous connaissez bien ? Des gens de droite peuvent être agacés par les positions pro-Royal de France 2 ou France 3...
Il y a des tas de journalistes à TF1 qui sont de gauche ; le monde médiatique est plus compliqué que ça... Mais je pense que Sarkozy tient bien les médias, par son relationnel. Je n'invente rien : ça existe, ça se sait, ça se voit. Martin Bouygues est le parrain de l'un de ses fils, il a le droit d'ailleurs, le problème, c'est que c'est juste le plus gros groupe de communication... Et quand on voit qu'on exclut d'une campagne deux journalistes qui sont Marie Drucker et Béatrice Schönberg parce qu'elles sont mariées ou en ménage avec des hommes politiques, qu'est-ce qu'on devrait dire de Nicolas Sarkozy qui tisse ces liens-là avec les dirigeants de la première chaîne télé !

Vous êtes également très dur à l'encontre de François Bayrou...
Qui il est ce monsieur Bayrou pour décider de qui sera le meilleur à gauche et le meilleur à droite pour gouverner sous sa présidence ? Quelle prétention ! Ça veut dire quoi de chercher un "Jacques Delors jeune" ? C'est quoi cet amateurisme politique ? A trois semaines d'un tel enjeu, comment ne pas encore être bien sûr de savoir avec qui on va gouverner ? Il a un côté Télétubbies de la politique qui me navre !
Et il avance lui aussi à visage couvert lui aussi ! C'est quand même lui qui a foutu presqu'un million de professeurs dans les rues contre la loi Falloux et là, il va se faire le défenseur de l'école publique laïque ! J'ai aussi envie de rappeler un simple fait à tous ceux qui sont tentés de voter pour lui : si son parti politique était une aussi vraie et authentique plateforme "apolitique" il y a aurait à peu près autant de personnel politique qui le quitterait pour aller à droite ou à gauche. Or il n'en est rien : tous les élus qui quittent ce parti vont vers plus de droite, voire vers l'extrême-droite. Ça prouve bien que l'UDF c'est le paillasson de l'UMP : on se frotte les pieds avant d'entrer, c'est tout.

Vous jouez aux Célestins le jour du premier tour. Allez-vous pouvoir voter ?
Bien sûr ! Et pas question de faire une procuration ! Je ferai un aller-retour dans la journée à Paris : c'est important pour moi de glisser moi-même mon bulletin dans l'urne.

Du malheur d'avoir de l'esprit, d'Alexandre Griboiedov, mis en scène par J.-L. Benoît, du 12 au 22 avril à 20h au théâtre des Célestins, Lyon 2e. 04 72 77 40 00. www.celestins-lyon.org

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