À 73 ans, Michel Raskine est le metteur en scène le plus attendu de cette rentrée théâtrale. Aux Célestins, on découvrira La Chambre rouge (fantaisie), du 18 au 29 septembre, une biographie théâtrale fictive, dans laquelle il interprète le rôle principal, Moi, un personnage qui lui ressemble étrangement, ni tout à fait lui ni tout à fait un autre. Littéralement dans la foulée, du 3 au 5 octobre au théâtre de la Croix-Rousse, sera reprise une autre de ses créations, Blanche-Neige, histoire d’un prince. Une suite déjantée du célèbre conte. Les deux spectacles sont portés par l’écriture à la fois drôle, crue et poétique de Marie Dilasser. Entretien.
Lyon Capitale : Comment vous êtes-vous retrouvé aussi présent dans cette rentrée théâtrale ?
Michel Raskine : C’est un hasard de la vie qui est génial. L’inattendu qui surgit encore ! La programmation de La Chambre rouge (fantaisie) était prévue de longue date aux Célestins, il y a plus d’un an et demi. Pour des raisons diverses, le spectacle a été repoussé ; ce qui n’était pas plus mal : ça nous a laissé plus de temps pour répéter, pour se préparer. C’est un problème récurrent à Lyon pour les compagnies qui n’ont pas de toit sur la tête, de théâtre où pratiquer. Mais en fin de compte, ça s’est bien passé pour nous parce que j’ai toujours eu d’excellents rapports, une bienveillance réciproque, avec les directeurs de théâtre en place. On a répété aux Subs, au TNP, à la Maison de la danse, à Ramdam… Difficile de faire plus !
Quel est votre état d’esprit ?
Un de mes traits de metteur en scène, c’est que j’ai une grande confiance en moi. Je n’ai pas peur, je sais où je vais, je ne suis pas quelqu’un qui tergiverse et change d’avis tout le temps. Pour ce qui est de la fabrication du spectacle, je suis organisé dans ma tête ; ça limite l’angoisse, pour moi et pour mon équipe. N’empêche, le moment le plus difficile sera le dernier jour, j’aurai la trouille du siècle le soir de la première ! Je renoue avec le jeu, le métier de comédien que j’ai tellement pratiqué autrefois, à une époque où comédiens et comédiennes passaient plus de temps sur scène, où il y avait bien plus de représentations pour chaque spectacle. Il n’y avait pas cette obsession de la nouveauté, du renouveau permanent.
Peut-on dire que Chambre rouge (fantaisie), à l’affiche des Célestins, est une autobiographie théâtrale ?
Je n’insisterai pas là-dessus. J’ai cette idée, un peu obsessionnelle, que le spectacle doit s’adresser à tous les spectateurs. Pas seulement à ceux qui me connaissent ou croient me connaître. Je ne sais pas si le genre de l’autobiographie peut être intéressant au théâtre. En littérature oui, au théâtre c’est moins sûr. J’ai l’intime conviction que ma vie n’est pas assez intéressante pour en faire un spectacle. Ma vie privée, je l’ai toujours protégée. Il ne faut pas attendre des révélations de ce spectacle. J’ai aussi cette intuition que toute histoire racontée au théâtre devient une fiction. Mais bien sûr il y a une part de jeu quand je vous dis ça puisque le personnage principal s’appelle Moi. Il y a tout de même une chose fondamentale : je n’ai pas écrit cette pièce, c’est l’œuvre d’une autrice, Marie Dilasser. Ce spectacle est le fruit de notre longue collaboration, c’est le cinquième texte d’elle que je mets en scène. J’ai eu connaissance de ses premiers textes alors qu’elle était étudiante à l’Ensatt [École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre, NdlR], en 2005. J’ai vu tout de suite qu’elle avait une langue, d’incroyables qualités d’écriture. Elle n’écrit que pour le théâtre et “qu’à la commande”, ses pièces sont éditées aux éditions des Solitaires intempestifs. Notre collaboration a toujours été intense, mais personne n’empiète sur le territoire de l’autre, je suis à la mise en scène, elle à l’écriture.
Ensuite, il y aura la reprise de Blanche-Neige, histoire d’un prince, à la Croix-Rousse…
C’est un spectacle qui a une histoire très singulière. C’est mon premier spectacle tout public. Ça a été d’emblée un énorme succès. La première a eu lieu à 11 h du matin, lors du Festival d’Avignon 2019 ; tout de suite après, j’ai vu arriver de nombreuses cartes de visite de programmateurs, de directeurs de théâtre, ils voulaient absolument programmer la pièce ! La presse a été unanime, il y a eu un formidable engouement. Le spectacle a ensuite beaucoup tourné. Mais il fait partie de ces spectacles qui ont été partiellement fracassés par le Covid. On a perdu un nombre incalculable de dates. Et quand le spectacle aurait pu de nouveau tourner, il y avait embouteillage dans les programmations… Beaucoup de spectacles sont allés à la casse, y compris des créations. C’est notamment pour cette raison que lorsque la nouvelle directrice du théâtre de la Croix-Rousse, Courtney Geraghty, m’a fait la proposition – tardive – de reprendre Blanche-Neige, ça a été une joie immense. C’est tellement rare, inattendu, un spectacle qui plaît à ce point à toutes les générations.
Après les bouleversements politiques récents, comment voyez-vous l’avenir ?
D’un point de vue personnel, mon envie de continuer à faire des spectacles est intacte. Je fais ce qu’il faut pour me maintenir en forme, j’ai une hygiène de vie, je vais régulièrement à la piscine. Plus globalement, par principe, je n’ai jamais tenu de propos directement politiques. J’ai toujours pensé que ma force réside dans le fait de pratiquer un art qui est ouvert aux autres, qui n’existe que dans l’adresse aux autres. Le théâtre n’est pas un art de la solitude. Je vote, je me tiens au courant des mouvements de notre société. Mais je ne vis pas dans la projection d’un avenir sombre. Au fond de moi, étrangement, et ce mot “étrangement” a son importance, je ne suis pas totalement pessimiste. Ce qui m’aide à vivre, à ne pas me flinguer, c’est quelque chose qui me dit que le pire n’est pas obligé d’advenir.
La Chambre rouge (fantaisie) – Du 18 au 29 septembre aux Célestins
Blanche-Neige, histoire d’un prince– Du 3 au 5 octobre au théâtre de la Croix-Rousse