Présentée à la galerie ITEM, Faire Face. Histoires de violences conjugales est une exposition de Camille Gharbi d’une grande puissance émotionnelle sur les violences conjugales. À voir d’urgence.
En France, en 2024, une femme est tuée tous les trois jours par son compagnon ou ex-compagnon. Pour parler de ce sujet à la fois terrible et commun, la photographe Camille Gharbi a développé un travail photographique très documenté autour de trois parties qui constituent l’exposition Faire Face. Histoires de violences conjugales. Elle l’a entamé en 2016 par la lecture de nombreux articles sur les féminicides, au total 253 cas, qui démontrent que ce phénomène de société touche toutes les catégories socioculturelles et tous les âges et qu’ils surviennent tous dans des contextes de séparation, de jalousie ou de possessivité démesurée. Découvrant ainsi les histoires et les circonstances des drames, elle élabore une première partie autour des objets utilisés pour les crimes. Elle ira par la suite en prison à la rencontre d’auteurs ayant accepté de faire un travail sur eux, créant leur portrait à travers la photo mais aussi par l’écrit d’un récit personnel, puis elle s’immerge dans un foyer accueillant des jeunes femmes ayant fui la violence et au sein duquel elles prennent le chemin de la reconstruction. Refusant la mise en scène et le voyeurisme, le dispositif visuel de l’exposition demeure pudique, tout en suggestion, d’une grande force émotionnelle et intellectuelle. Il nous invite à faire appel à notre imagination pour ressentir la violence subie et assénée mais aussi pour la comprendre, car ici l’image n’est pas une fin en soi mais un passage vers la pensée. Une exposition bouleversante dont on ne sort pas indemne !
Les Preuves d’amour : couteau, fer à repasser, coussin, balles…
C’est ici le premier choc de l’exposition dans l’espace initial intitulé Preuves d’amour.Une série de photos : couteau, fer à repasser, sac plastique, balles, ciseaux, marteau, casserole, coussin, briquet… Aucune mise en scène, juste l’objet du quotidien presque neutre et pourtant terrifiant dans ce qu’il évoque, avec à côté la liste des prénoms des femmes et la date de leur assassinat. Dans cet espace, la photographe nous expose l’arme et nous demande de nous mettre à la place des femmes. Et devant chaque objet, on ressent au plus profond de soi l’ampleur de la violence et la réalité de ces femmes.

Les Monstres n’existent pas : les hommes violents sont Monsieur Tout-le-monde
À partir de 2019 jusqu’en 2022, Camille Gharbi rencontre, notamment au centre pénitentiaire de Poitiers, des hommes condamnés pour la plupart à plus de vingt ans de prison (avec également une femme meurtrière d’un conjoint violent) qui ont accepté de faire un travail sur eux-mêmes. Elle les enregistre et les photographie de dos et de profil. Chaque portrait est accompagné d’un texte écrit avec eux. On ne voit pas leur visage et pourtant on découvre qu’ils ressemblent à Monsieur Tout-le-monde, insérés dans la société, certains ayant des postes à haute responsabilité (banquier, chef d’entreprise…) : “Après nous être mis à la place des femmes dans le premier espace,nous dit-elle, j’ai voulu creuser une approche plus positive partant du fait que les clés du changement étaient du côté des auteurs. Il s’agissait de voir comment la violence se construit et comment tout cela pouvait évoluer. Ce qui saute aux yeux quand on les rencontre, c’est qu’ils sont Monsieur Tout-le-monde, alors que dans les conversations on parle d’eux comme des fous (peu nombreux dans les féminicides) et comme des monstres. Or un monstre, ce n’est pas quelqu’un qui est humain, ce sont plutôt les humains qui font des choses monstrueuses. Il s’agit de comprendre comment on en arrive là, il faut pour cela qu’ils ne soient pas dans le déni car il y a beaucoup de déni dans la violence. Je ne leur ai jamais posé de questions sur leur acte mais tous en ont parlé. C’est une parole qu’on n’entend jamais, cela fait appel à une humanité, elle est souvent reliée à de la violence intra familiale, à la santé mentale, l’éducation, la drogue, l’alcool, le rapport à la masculinité, car même s’ils savaient qu’ils avaient besoin d’aide, qu’ils étaient en détresse, quand on est un homme, on n’en parle pas. Bien évidemment, il ne s’agit ni d’excuser ni de minimiser leurs actes mais je voulais par la déconstruction du portrait sortir des stéréotypes de l’homme violent et si on ne voit pas leur visage c’est, entre autres, parce que cela pourrait être n’importe qui.”

Une chambre à soi : pour trouver de la douceur et se reconstruire
Faisant référence au livre Une Chambre à soi de Virginia Woolf, la troisième partie est en miroir aux portraits des auteurs et nous plonge dans l’intimité des chambres de jeunes femmes âgées de 18 à 25 ans qui ont fui des situations de violences conjugales, intra familiales et/ou sexuelles. Alors qu’elles sont absentes, on découvre leur univers d’où émanent la douceur et la couleur, on sent leur présence et on les espère en sécurité avec leurs objets personnels et choisis, elles pourront y rester le temps qu’elles veulent pour se reconstruire, jusqu’à ce que leur situation soit stabilisée. Certaines en profitent pour reprendre des études, chercher un travail ou un logement, entamer une procédure de divorce. Là aussi, les photos sont accompagnées d’un récit. “Pour les hommes, il s’agit de savoir comment on change, pour les femmes, c’est comment on se reconstruit. Il était important pour moi de mettre de la lumière dans cet univers sombre.”
Faire Face. Histoires de violences conjugales –Camille Gharbi, jusqu’au 5 avril à la galerie Item, Lyon 1er
Entrée libre et gratuite (recommandée à partir de 13 ans)
Le monde est mal partagé et les femmes ne sont pas victimes par nature!