Le musée d’Art moderne de Saint-Étienne expose jusqu’au 5 janvier un sculpteur incontournable du XXIe siècle : Tony Cragg, l’auteur d’une œuvre immense qui n’aura cessé au fil des années de renouveler les formes, les techniques et les matériaux. Et c’est loin d’être fini.
Né en 1949 à Liverpool, Tony Cragg est un des rares artistes du XXIe siècle à faire exclusivement de la sculpture, à l’heure où les artistes contemporains multiplient les médiums. La sculpture, il la choisit dès 1973 alors qu’il est étudiant au prestigieux Royal College of Art de Londres (qui a notamment vu passer des artistes comme Henry Moore, David Hockney ou encore Richard Deacon). Influencé par le minimalisme et l’Arte Povera, Tony Cragg utilise alors des techniques rudimentaires de création de formes, telles que l’assemblage, l’empilement ou encore la dispersion d’objets quotidiens ou de déchets collectés dans des décharges ou sur la plage.
Collecter, assembler, empiler
Ces agencements de formes, de couleurs et de matériaux hétéroclites et les gestes et formes simples qui régissent ses travaux d’étudiant seront la base de sa recherche à venir. Échos à la société de consommation, les puzzles formels et chromatiques de rebuts posés à même le sol ou accrochés au mur, figuratifs ou géométriques, démontrent l’influence toute picturale de l’artiste : l’objet devient un point coloré parmi d’autres dans des compositions en dégradé de couleurs.
Dans les années 1980, ses installations deviennent de plus en plus érectiles, comme dans Mittelschicht (1984), une de ses plus célèbres installations, qui semble mettre en marche des éléments en bois (règles, tiroirs, meubles) de manière serpentine et ascendante.
La fin des années 1980 marque un tournant dans sa pratique et la fin des compositions utilisant des matériaux récupérés. Tony Cragg conçoit alors des agrandissements d’instruments de laboratoire (récipients, fioles), des formes organiques (fossiles, coraux, mollusques) ou des objets primitifs (pots, ogives, manches d’outils) en divers matériaux (aluminium, acier, verre, plâtre), conférant désormais à la sculpture une forte teneur archéologique.
Extrêmement productif, Tony Cragg explore tous les matériaux pendant cette décennie, de la terre à la pierre magmatique, du caoutchouc au béton en passant par la cire, poursuivant son investigation sur la malléabilité des matériaux.
Baroque futuriste
Au tournant des années 2000, sa sculpture prend une direction radicale. Retour à l’unité, en privilégiant la combinaison classique sculpture solo-socle, et à des matériaux qui le sont tout autant (bois, marbre, bronze). Ses nouvelles pièces, aux stries dynamiques, entretiennent un lien avec la géologie, mais s’abstractisent davantage en rappelant les affleurements de la nature et ses constructions en strates. Elles semblent combiner des influences baroque – multipliant les plis, les formes presque liquides des matériaux qui s’élèvent – et futuriste, dans l’effet de simultanéité des différents mouvements, tourbillons de matière animés par une force à la fois centrifuge et centripète.
Certaines des pièces récentes surprennent également par leur caractère anthropomorphique, laissant distinguer des profils humains selon les points de vue. Monumentales, elles ne peuvent être appréhendées en une seule fois et nécessitent qu’on se déplace, qu’on les examine sous toutes les coutures, jouant sur la perception du spectateur. La technique paraît virtuose et tranche définitivement avec les œuvres des débuts. En 1993, Cragg déclarait : “Il y a quelques années, les gens s’inquiétaient du post-modernisme, de la fin du modernisme, ils pensaient qu’il ne restait plus rien à inventer, c’est fou ! Maintenant, tout est en place [...], c’est le vrai moment pour commencer à travailler.”
La diversité des techniques et les évolutions formelles de sa pratique montrent la capacité de Cragg à se renouveler sans cesse, à créer de nouvelles formes d’expression, faisant de l’artiste britannique l’un des sculpteurs contemporains les plus foisonnants. L’exposition que lui consacre le musée d’Art moderne de Saint-Étienne donnera l’occasion de s’en convaincre, en présentant des œuvres monumentales récentes, notamment un ensemble de sculptures en bois fraîchement sorties de l’atelier, ainsi que des pièces plus anciennes (dont certaines acquises par le musée) et des dessins préparatoires.
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Tony Cragg – Œuvres récentes. Jusqu’au 5 janvier, au musée d’Art moderne de Saint-Étienne, rue Fernand-Léger (Saint-Priest-en-Jarez).
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Cet article est paru dans le cahier Culture de Lyon Capitale n° 725 (septembre 2013).