Avec une économie de moyens certaine, Linda Sanchez ouvre les portes d’un microcosme où les poussières deviennent tourbillon et où une simple goutte d’eau se transforme en monstre aqueux aux propriétés engloutissantes. Fascinant.
Il y a d’abord ces formes abstraites, démultipliées, qui s’étalent en longueur : concrétions de lignes au trait noir plus ou moins épais, qui donnent l’impression de dentelle ou de relief. On croit alors à un dessin minéral, sortes d’affleurements graphiques. Il n’en est rien. Car au commencement était l’eau, alors revenons aux sources. Ces dessins retracent l’itinéraire d’une goutte d’eau, principal sujet de la remarquable exposition de Linda Sanchez à la fondation Bullukian.
Frottements et ruissellement
Lauréate 2014 du prix éponyme, l’artiste lyonnaise développe ici tout un pan de sa recherche tribologique (science des frottements) à travers installation, vidéo, dessin et photographies. Au centre des dessins (dont on comprend la fabrication grâce à une projection murale), une magnifique installation rejoue le ruissellement d’une eau devenue pétrole, en laissant littéralement couler un dessin sur un Plexiglas anthracite poncé, incliné. Chaque matin renouvelé, son tracé est guidé par la main, qui en détermine l’itinéraire. Le dessin ainsi activé alimente en boucle un scénario graphique “toujours jamais pareil”.
L’itinéraire d’une goutte
Dans un même ordre d’idées, Linda Sanchez a mis au point dans la vidéo au titre poétique 11 573 kilomètres et des poussières un système capable de filmer presque en continu l’itinéraire d’une goutte, soumise aux aléas de la météo et des microéléments qui peuplent sa surface de déplacement. À la manière d’un reportage animalier, celle-ci, filmée en très gros plan, devient limace, aspire tout sur son passage, glisse, stoppe, révèle des microcosmes insoupçonnés ou affronte des géants. Par ce changement d’échelle, Linda Sanchez parvient à nous noyer visuellement dans une goutte, dont la vie s’avère définitivement trépidante.