Faux groupes, vrais succès

Le succès public des tournées des Rabeats – sous titrées A Tribute to the Beatles – n’est que la partie immergée d’un iceberg bien plus vaste : le monde fabuleux des tribute bands. Ou comment, entre hommage, imposture et parodie, avoir du succès en se prenant pour un autre.

Avec les Rutles, leurs faux-Beatles, les Monthy Pythons avaient en quelque sorte inventé le genre, tout en le ridiculisant d’entrée et en se farcissant au passage le culte Beatles. Il s’agissait alors de parodier les quatre têtes à claques de Liverpool. Face au succès du sketch initialement prévu, un film et un album virent même le jour, ce dernier constitué de compositions originales imitant à merveille les Beatles. C’était pour rire mais c’est ce que font aujourd’hui, au premier et parfois au second degré, des milliers de tribute bands (ou « groupes hommage »), fans-musiciens qui entendent honorer leurs idoles, et vivre un peu de leur vie si parfaite et trépidante. On distinguera d’ailleurs cover bands et tribute bands. Quand les premiers, lookés au millimètre (sans être considérés comme des sosies qui bien souvent ne vont guère plus loin que le playback), se contentent de reprendre un répertoire existant, les tribute bands eux composent des chansons originales dans le plus pur style de leurs idoles. Parfois la mise en abyme est carrément vertigineuse. Ainsi de No Way Sis, tribute band d’Oasis, qui a eu les honneurs de l’émission mythique Top of the Pops, comme les vrais. No Way Sis, donc, a parodié Shakermaker, l’un des premiers tubes d’Oasis en reprenant à sa sauce I’d like to teach the world to sing des New Seekers, chanson dont Oasis avait grossièrement copié la mélodie – oui, il faut suivre. Avec No Way Sis, la chanson des New Seekers jouée comme du Oasis sonne donc comme du Oasis pompant les New Seekers… Manière de boucler la boucle de l’hommage, de la parodie et de la moquerie en quelques notes de rock n’roll. Pas chien, Noël Gallagher, l’un des terribles frangins d’Oasis a qualifié No Way Sis de deuxième meilleur groupe du monde après le sien.

Fan Tour

Mais pour beaucoup de tribute bands, il s’agit surtout de prolonger la carrière de groupes disparus (ou pas). Et aussi de profiter du reliquat de très nombreux fans (à supposer qu’on intéresse 0,1 % des fans des Stones, ça en fait encore pas mal de monde). Ainsi les tribute bands sont (presque) toujours dévolus au culte de monstres sacrés gros vendeurs de disques : de Pink Floyd au Beatles, d’AC/DC à … Johnny, l’homme aux mille sosies. Qu’ils s’appellent Mick Jogger & The Rolling Zones, Still Collins ou Sample Minds, on sait toujours à qui on a affaire. Et c’est souvent, contre toute attente, à de vrais musiciens. Y compris quand la caricature va se nicher très loin comme avec Mini-Kiss, le plus célèbre tribute band du groupe de hard-rock Kiss, uniquement composé, comme son nom l’indique, de rockers de petite taille (Tiny Kiss, son concurrent direct, est moins connu). Parfois moqués mais souvent respectés par les fans pour leurs qualités musicales, les tribute bands peuvent faire déplacer les foules en masse. C’est le cas des Rabeats, simple cover band créé à Amiens il y a dix ans, dont le succès public est phénoménal et la trajectoire, des pubs de Picardie au Zénith, ironiquement très Beatlesienne. Quatre perruques, des costumes ad hoc, des reprises des grands tubes tricotés par l’hydre Lennon-McCartney (plus quelques compos) et hop la tournée des grands ducs. Grâce notamment à Pascal Obispo, leur « découvreur », et lui-même grand singeur de Polnareff, qui les avait enrôlés fort à propos sur son Fan Tour. Preuve que le culte est l’ingrédient numéro un du succès des tribute band. Car quarante ans après, la Beatlemania bouge encore et les fans toujours aux taquets se sont enrichis des jeunes générations. Pas sûr que Lennon et Jojo Harrison ne se retournent pas dans leur tombe mais comme il faut donner à manger à ce fauve rugissant qu’est le public et que la grive est morte, les Rabeats font sans doute des merles très acceptables. Dans le monde réellement renversé, disait Guy Debord, le vrai est un moment du faux. Et inversement répondent Rabeats, Rutles et autres Mini-Kiss.

The Rabeats. Le 13 mars à la Bourse du Travail.

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