Pour son ouverture, le festival Karavel donne carte blanche à un chorégraphe impressionnant : Bouziane Bouteldja. Il présente au théâtre des Célestins Ruptures, une pièce sur les mouvements migratoires. Portrait.
Né à Tarbes, d’origine algérienne, Bouziane Bouteldja (42 ans) se forme au hip-hop dès l’âge de 16 ans, lors de battles et stages, puis crée en 2001 avec cinq amis une association afin de donner des cours à des jeunes de quartiers.
Après avoir vu Récital de Mourad Merzouki, il décide de chorégraphier et fonde sa compagnie Dans6T (2007) avec l’envie de dire des choses et militer. Il développe une danse citoyenne au service des publics en difficulté avec des cours de danse, des projets de quartiers et des formations en milieu scolaire.
À Tarbes et dans le département des Hautes-Pyrénées, l’association est engagée dans la politique de la ville. “Le corps,nous ditBouziane,c’est la première chose que l’on voit de quelqu’un, ce ne sont pas les mots, on est tous des êtres en mouvement et la danse sert à comprendre comment le corps bouge, comment il réagit à des facteurs extérieurs, qu’ils soient sociaux ou autres. Il y a une éducation à faire par la danse, elle devrait être obligatoire à l’école car le corps est un puissant moyen d’émancipation.”
Une danse très engagée, sur le terrain et sur scène
Engagé sur le terrain, il l’est aussi sur scène. Pas si compliqué est une pièce pour la jeunesse sur le thème de l’alimentation et de la danse comme moyen d’activité physique.
En 2012, Altérité remporte le prix du jury au concours de danse contemporaine (RE)connaissance. Bouziane parle des discriminations qu’il a fait subir aux autres : “J’étais homophobe, macho sur les bords, je respectais les femmes mais pour moi la question de l’égalité n’était pas présente.” Au plateau,il réunit un danseur gay, un autre tatoué et la danseuse Jan Gallois, d’apparence androgyne. “J’ai dansé avec eux et j’ai changé grâce à la danse. Par le corps, j’ai compris le moteur de la peur de l’autre et de soi.” En 2015, basé sur son vécu, le solo Réversible évoque les carcans religieux et culturels, la violence et les silences qui vont avec.
En 2018, Danse et Pensées est un dispositif de danse-forum pour déconstruire les discriminations en partant des valeurs de la République. En 2013, il décide de travailler essentiellement avec des danseurs marocains : “Danser avec eux est plus facile, ils sont au clair avec leur histoire, ils sont ouverts, avec une belle technique hip-hop. Contrairement à l’Algérie, il y a au Maroc une vraie dynamique autour de la danse contemporaine.”
Ruptures, la danse au cœur des mouvements migratoires
Ruptures part d’un constat : l’humain se déplace depuis toujours, c’est sa nature mais, à l’intérieur de ces déplacements, il y a des catastrophes comme en Méditerranée : “Arrêter un flux migratoire qui fait partie de l’ADN de tous les êtres vivants est illusoire. On est continuellement en déplacement, on a besoin d’aller vers l’autre et ce n’est pas uniquement lié à des problèmes économiques ou autres, c’est parce qu’on est curieux de découvrir des gens, des territoires, de nouveaux paysages.”
L’autre point de départ, c’est son père, décédé, triste d’abandonner l’Algérie pour la France à 22 ans et ainsi faire vivre la famille, un tremblement pour lui ! Le chorégraphe est parti d’émotions et d’états de corps qu’il a pu éprouver mais aussi de ceux de jeunes migrants avec lesquels il travaille actuellement.
Amener le mouvement sur le plateau pour montrer comment la danse n’estqu’un prolongement de déplacements aussi vieux que le monde, c’est là que nous emmène Ruptures. Au cœur d’une scénographie qui convoque la terre et l’eau, le chorégraphe puise dans une multitude de danses liées au sol (flamenco, gumboot, rituels gnawas…), faisant émerger des corps en tension les causes des déplacements sur notre terre mais aussi la joie de rencontrer l’autre.
La pièce est précédée sur le parvis du théâtre d’un extrait du spectacle transmis à de jeunes Lyonnais. Le 27 septembre, à 19 h 30, sera projeté au MOB HOTEL le film Broken Mirrors retraçant dix ans de travail avec ses danseurs marocains.
Ruptures - Bouziane Bouteldja – Le 26 septembre, au théâtre des Célestins