À l’aube de la trentaine, À Vaulx Jazz semble avoir acté pour de bon une réalité à laquelle ce festival défricheur nous prépare doucement depuis quelques années. Une portée tout entière de jeunes jazzmen aux idées novatrices a pris les rênes, pour faire entrer le jazz dans l’ère post-jazz. Coup d’œil sur une programmation qui n’en oublie pas pour autant ses légendes.
Une génération bien élevée
Les totems finissant par disparaître les uns après les autres, et pas que dans le monde du jazz (ce mois de janvier 2016 hautement nécrologique l’a bien montré), il faut bien à un moment que le renouvellement des générations se fasse, cette discipline s’étant toujours accrochée vaille que vaille à ses fondamentaux et à ses prophètes. Or on note depuis quelques années déjà qu’une génération montante prend de plus en plus de place. Et, faisant cela, crée des déviations, des bifurcations, ouvre des voies.
Cette génération-là, enfant des baby-boomers, n’a pas été élevée qu’au jazz. Elle a été élevée à tout : au hip-hop (certes petit-fils du jazz, qui verra d’ailleurs à Vaulx deux immenses représentants contestataires et enflammés en les personnes de Baloji et de Saul “Martyr Loser King” Williams, le 16 mars), au rock, au punk, aux musiques savantes...
Post-jazz
Le festival À Vaulx Jazz, ce phénomène, pas de la toute dernière pluie, semble s’en être fait cette année le témoin discret et peut-être involontaire, en tout cas progressif. Mais les faits sont là et les personnalités aussi d’une génération qui établit des passerelles avec le rock : que l’on songe à…
Colin Stetson (15/03), ce saxophoniste gravissime que l’on a souvent vu aux côtés de gens comme Arcade Fire, TV on the Radio ou le folkeux Justin Vernon
Initiative H (12/03), de David Haudrechy (acolyte des Médéric Collignon et autre Thomas de Pourquery, qui pour avoir été le futur du jazz en sont maintenant le présent le plus incontestable), qui explore à sa manière la dark wave (soit à la fois les surfeurs de l’extrême et la branche la plus dure du post-punk à tendance cold wave) mais aussi la pop
Pixvae (11/03) et son math-rock mâtiné de musique traditionnelle colombienne
ou que l’on songe aux…
Migou (8/03), qui pratique un blues de chambre croisant la musique chère à Ry Cooder avec l’esprit des “modernes” à la Ravel, Satie ou Debussy
White Desert Orchestra d’Eve Risser, caravane disparate en route vers l’West, quasi au diapason du projet également baptisé West du violoncelliste multicarte Vincent Courtois, connu pour sa BO d’Ernest et Célestine (19/03).
Citons encore le guitariste Philippe Gordiani (17/03), grand improvisateur des musiques actuelles qu’on a autant rapproché des musiques savantes que du post-rock et qui reficellera avec Voodoo le vieux fantasme d’une collaboration Miles Davis-Jimi Hendrix (entamée pour de vrai, dit-on).
On évoque le post-rock, eh bien c’est parfois de post-jazz que l’on qualifie cette génération de trentenaires-quarantenaires, même si les vieux Blurt (11/03) n’avaient pas attendu de telles dénominations pour croiser le fer punk et le cuivre jazz.
Légendes vivantes
Quant à la poignée de jeunots plus classiquement jazz ou blues, ils sont bien souvent issus de musiciens de la seconde génération, cf. Nasheet Waits (fils de Frederick, 12/03) ou Ronnie Baker Brooks (fils de Lonnie, qui lui a transmis son goût pour l’électrification du blues du Delta, 18/03). Ou fruit de traditions apparemment antinomiques mais quasi jumelles, tel Yom (9/03) et sa country western qui puise ses racines dans le Far East de la musique klezmer.
Et les légendes dans tout ça ? Elles sont en devenir, donc. Mais quelques-unes seront là : Joe Lovano en une rare formule quartet 17/03) ; Salif Keita en post-face du festival et, événement également, en acoustique (le 25/03 à l’Auditorium) Omar Sosa (piano, Cuba), Paolo Fresu (trompette, Sardaigne) et le caméléon Trilok Gurtu (percus, Inde), à la jointure de trois continents (10/03).
Quant à Tony Allen (11/03), en attendant sa venue aux Nuits Sonores, l’inventeur du beat dans l’afrobeat reprendra le plus “africain” des batteurs, Art Blakey, histoire de loger un pied de nez à ceux qui auraient oublié que les légendes ne meurent jamais tout à fait vraiment.
Notre sélection, dans l’ordre chronologiqueMardi 8 mars – Le MigouMercredi 9 – YomJeud 10 – Trio Sosa/Fresu/GurtuVendredi 11 – Pixvae + Tony AllenSamedi 12 – Initiative H + Nasheet WaitsMardi 15 – Colin StetsonMercredi 16 – Baloji + Saul WilliamsJeudi 17 – Philippe Gordiani + Joe LovanoVendredi 18 – Ronnie Baker BrooksSamedi 19 – White Desert Orchestra + Vincent Courtois
À Vaulx Jazz – Du 8 au 19 mars, au centre culturel Charlie-Chaplin + concert Salif Keita le 25 mars à l’Auditorium de Lyon. |