Fête du livre de Bron : label époque

Si l’on en croit l’historien lyonnais Jean-Jacques Ampère, “les livres font les époques et les nations, comme les époques et les nations font les livres”. On en conclura que, pour son édition 2013, et en ces temps troublés, la Fête du livre de Bron n’aurait pu choisir meilleur thème que “L’époque et moi”. Et que, dans un monde qui navigue à vue, les livres sont peut-être le meilleur des repères et des remèdes.

Si l’on s’en tient à l’ouvrage de Myriam Revault d’Allonnes La Crise sans fin – Essai sur l’expérience moderne du temps, et si l’on ne regarde le monde que par ce prisme, la crise, qui ne devrait être par définition qu’un événement ponctuel, est devenue “la trame de notre existence” depuis trente ans. Or, entre le premier choc pétrolier et 2013, année du ramassage de dents de la crise des subprimes, d’autres périodes se sont succédé – politiques, artistiques, culturelles, etc. Car les époques, comme dans la théorie des univers multiples, se superposent, renaissent ou n’en finissent plus, comme si le temps s’arrêtait, thème du roman de science-fiction de Tristan Garcia Les Cordelettes de Browser : “On chante les vieux airs, on récite les poèmes classiques, on copie et on colle les images d’antan”, écrit-il. Alors peut-être l’époque est-elle ce qu’on en fait, autant que, comme le disait Shakespeare dans Le Roi Lear,ce qu’elle fait de nous.

Dans le thème “L’époque et moi”, il y a “moi”, vous, nous, l’auteur surtout : “Plus que la question de déterminer une époque, explique Yann Nicol, programmateur de l’événement, la première dimension qui a constitué un déclic quant au choix de cette thématique a été de réfléchir aux liens entre les hommes et les époques : cette idée de présenter des livres qui confrontent des parcours individuels à un contexte politique, historique, de société.”

Ruptures

Par la force des choses, c’est surtout de l’époque actuelle dont il est question, autour de la question “comment parler du contemporain, d’aujourd’hui, de là où on est, quand on est en train d’écrire ?” Sans doute est-ce aussi la raison pour laquelle la Fête fait une place à de nouvelles manières d’écrire le monde : de la série télé (qui a désormais sa collection aux PUF) au reportage BD ou à la chanson, en passant par les “nouvelles formes” de poésie. Au-delà, beaucoup de livres présentés sont entièrement imprégnés de ce qu’est notre époque. La preuve : la manière dont se dégagent les sous-thèmes propres à l’époque – crise, catastrophe, guerre et décadence, jouant les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse contemporaine.

“À travers des auteurs comme Antoine Choplin sur Tchernobyl (La Nuit tombée) ou Lionel Duroy sur la guerre en ex-Yougoslavie (L’Hiver des hommes), il y a cette réflexion sur la façon dont les événements collectifs créent des ruptures et permettent de considérer qu’un monde se termine et qu’un autre commence”, avance Yann Nicol.

Pulsion de vie

Malgré tout, sourd ce sentiment d’un hoquet du monde comme symbole d’un changement d’époque qui n’arriverait jamais vraiment à s’opérer. Fort heureusement, la littérature, comme toute forme d’art, œuvre d’arrache-pied à transcender les difficultés et à ré-enchanter le monde. “Beaucoup de livres qui traitent de ces questions d’incertitude, des difficultés de notre époque, véhiculent l’idée de transcendance individuelle, analyse Yann Nicol. Ou comment ce qui est de l’ordre de l’instinct se débat avec la contrainte sociale. Cette question du réenchantement est un ressort qui existe naturellement dans la vie, et l’on sent chez tous ces auteurs quelque chose qui nous ramène à la pulsion de vie.” Après tout, écrivait Paul Valéry, “une époque intéressante est toujours une époque énigmatique, qui ne promet guère de repos, de prospérité, de continuité, de sécurité”. Ce qui n’empêchait pas Walter Benjamin de considérer que “chaque époque rêve de la suivante”. C’est précisément à cela que travaille la littérature : digérer le passé et transcender le présent pour préparer l’avenir.

Fête du livre de Bron – festival des littératures contemporaines. Du 15 au 17 février, à l’école de santé des Armées (Bron).

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À lire également dans Lyon Capitale-le mensuel de février :

• Le portrait d’Iain Levison, invité de la Fête du livre, auteur de romans haletants sur les laissés-pour-compte du rêve américain

• Les choix du programmateur : Yan Nicol explique pourquoi la Fête du livre accueille Aurélien Bellanger, Christos Chryssopoulos, David Trueba et Emmanuelle Pireyre.

Lyon Capitale n°719 est en vente en kiosques jusqu’au 21 février, et dans notre boutique en ligne.

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