Plus qu'un énième film de boxe, Fighter est avant tout une fable sportive et familiale sur une Amérique à la ramasse. Inégal mais magnifiquement interprété, peut-être le chaînon manquant entre Rocky et The Wrestler.
Avec Darren Aronofsky, David Fincher et Christopher Nolan, David O. Russell appartient à la génération de petits génies indépendants qui est actuellement en train de faire main basse sur Hollywood. Une prise de pouvoir qui ressemble, toutes proportions gardées, à celle du "Nouvel Hollywood" des années 70. C'est d'ailleurs avec un projet initialement développé par Darren Aronofsky que Russell (Flirter avec les embrouilles, Les Rois du Désert) fait son grand retour après quelques années de vaches maigres : un film de boxe et de rédemption sur fond de misère sociale white trash qu'Aronofsky laissera en plan pour réaliser The Wrestler, un... film de catch et de rédemption sur fond de misère sociale white trash. Oui, car les deux films, et pour cause donc, ont beaucoup en commun, en dépit d'une approche « documentaire » quelque peu différente.
Ici on suit deux frères : l'un, Dick Eklund (Christian Bale), est une ancienne (petite) gloire de la boxe connu pour avoir sonné (mais l'a-t-il vraiment fait exprès ?) le grand Sugar Ray Leonard lors d'un combat; Depuis, il recuit cette grâce éphémère dans le crack, sous les yeux d'une caméra de la chaîne HBO chargée d'un documentaire prétendument à sa "gloire". L'autre, son demi-frère Micky Ward (Mark Wahlberg), boxeur lui aussi, mais surtout paveur de rue, à défaut de gloire, tente de marcher sur les traces du passé du frangin. Le tout dans le substrat on ne peut plus gluant d'un véritable cauchemar matriarcal : une mère-agent vampirique et sept soeurs qui sont autant de goules affectives et de boulets semi-dégénérés. Tout l'enjeu du film est là. Micky parviendra-t-il à percer dans la boxe ? Et, si oui, avec ou sans cette famille qui le pousse moins qu'il ne la traîne ?
Rôle à Oscar
Ici, tous les personnages, y compris celui de la petite amie idéale (sublime Amy Adams), barbotent dans une sorte de métaphysique de l'échec, de déchéance comme horizon ou comme boulet à traîner, avec comme seule promesse du fameux rêve américain – qui bourdonne là, tout à côté, au son des caméras de la télé qui enregistre – la médiocrité et l'inachèvement. Cet inachèvement, le film trop long et bancal, le porte en lui, avance par saccade, par à-coups, par esquives. Mais offre tout de même de magnifiques séquences dramatiques et/ou sportives. Et surtout de prodigieux numéros d'acteur. Christian Bale, acteur aussi horripilant que génial, en fait des caisses dans ce rôle à Oscar (qu'il a d'ailleurs remporté). Mais il est réellement impressionnant en "crack addict" exalté, à la fois mentor et boulet de son petit frère. Son jeu survolté est d'ailleurs si écrasant qu'il trace à lui seul l'ombre portée sur ce dernier incarné par un Mark Wahlberg comme anesthésié. Les deux, à leurs manières, luttent comme luttait le Mickey Rourke de The Wrestler.
C'est d'ailleurs le grand thème du moment de cette génération de cinéastes (cf. Black Swan) : une Amérique qui tente de se relever de sa propre médiocrité en refondant son espoir dans la lutte ou plutôt sa lutte dans l'espoir. Précision : Fighter se déroule dans les années 90 mais ce pourrait être maintenant, et s'il s'agit d'une histoire vraie, au fond peu importe. Car cette Amérique profonde que nous montre Russell, Bush l'a littéralement empaillée vivante. Tant bien que mal elle tente de relever la tête, de faire son come-back, dans la douleur et dans l'expiation du corps et de l'âme (en se répétant que "oui, elle peut"?), malgré la haine de soi et des siens. L'adversité intérieure comme extérieure. A ce titre, Fighter est un peu le Rocky de l'après-Bush.