La péniche du Sonic est surchargée ce soir. Pour cause ? La première soirée queer de l’année. À bord, des néons roses tapissent le bateau et sur les murs, robes à fleurs, jupes colorées et autres vêtements à paillettes sont accrochés aux portemanteaux : la fringothèque. Tout le monde peut se servir et se revêtir à sa guise pour la soirée. Initiative extravagante qui en dit long sur l’esprit queer…
Sur la terrasse, Adrien et Raoul sont belles à faire rougir, Ger et Adriencamille sont vêtues tendance disco. Pour “elles”, qu’est-ce qu’être queer ? “C’est être flou dans son genre, choisir de ne pas choisir”, répond instinctivement Adriencamille. Après réflexion, elle rajoute : “C’est prendre conscience de son corps en tant qu’objet politique : une prise de liberté !”
Sur scène, le Sonic accueille les Scream Club, un duo de lesbiennes d’électro/ hip hop. Nos deux rappeuses viennent d’Olympia, dans l’État de Washington, la ville la plus féministe des États-Unis. Sarah Adorable la “fem” -à prononcer “faime”, lesbienne qui assume à fond sa féminité, voire en surajoute- Cindy Wonderful la “butch” -lesbienne masculine-. Dans ces soirées queer, on se sent libre. Les filles ont trop chaud ? Pas de problème, elles enlèvent leur T-shirt. Les hommes veulent s’habiller en nuisette ? Pas de souci. Il n’y a pas de règle. Tout est permis. Pour Cindy Wonderful, “être queer, c’est décider de sa propre identité, être libre de choisir avec qui on couche, du genre auquel on s’identifie, c’est être soi-même en dépit de la norme imposée”.
Trouble du genre
“On ne naît pas femme, on le devient”, disait Simone de Beauvoir. Dans nos sociétés, on nous éduque en fonction de notre sexe biologique. Un garçon jouera aux voitures, on habillera les fillettes en robe. L’écrivaine Judith Butler a été l’une des premières théoriciennes queer à distinguer le sexe du genre.
Le “sexe” c’est le sexe biologique, celui avec lequel on naît ; le genre, c’est masculin ou féminin, le “sexe social”. Les queer se sont demandés pourquoi l’anatomie déterminerait des statuts sociaux si différents.
La pensée queer vise à déconstruire les frontières, combattre les distinctions binaires (homme/femme, hétéro/homo…) qu’elle juge ni fixes, ni naturelles, favorisant des identités différentes. Adriencamille, rencontrée au Sonic, se confie : “Je me souviens avoir dit “je suis lesbienne, j’aime les femmes, je ne vais pas sortir avec une fille qui ressemble à un mec”. Après, j’ai réalisé que ces propos n’étaient pas les miens, ils étaient juste ceux d’une pensée normative. En réfléchissant, en lisant, en étant confrontée à des travaux d’artistes, en rencontrant des gens, je me suis épanouie et j’ai arrêté l’intolérance.”
Elle admet : “Aujourd’hui je pense que je pourrais sortir avec une lesbienne qui est née garçon ou qui est devenue garçon ou qui est floue. Moi- même, je ne me sens pas fille et je ne me sens pas garçon, l’identité vers laquelle je me sens la plus proche, c’est l’identité queer...»
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