À 90 ans, Alain Rey milite pour la francophonie, plaide pour que l’école enseigne aux enfants à parler correctement avant de leur apprendre à lire, encense la langue des banlieues et s’amuse à slamer avec Big Flo & Oli. Entretien avec un grand du Robert.
Originaire de Pont-du-Château, dans le Puy-de-Dôme, où une médiathèque porte son nom, cet éminent spécialiste des mots et de leur histoire, conseiller éditorial du Robert, est l’un des plus grands techniciens de la langue française. À l’occasion de la publication de son quarantième ouvrage, un petit livre qui décortique avec humour et tendresse des expressions sur nos émotions*, Alain Rey nous a reçus chez lui, dans le 9e arrondissement de Paris, au rez-de-chaussée d’un hôtel particulier de la Nouvelle-Athènes – haut lieu du romantisme qui abrita écrivains, artistes et peintres, tels Alexandre Dumas, George Sand, Chopin, Paul Gauguin ou Eugène Delacroix. À 90 ans, celui qui ambitionne de faire du dictionnaire “une fenêtre sur l’histoire” milite pour la francophonie, “notre héritage historique”, plaide pour que l’école enseigne d’abord aux enfants à parler correctement avant de leur apprendre à lire, encense la langue des banlieues – “preuve d’une incroyable créativité” –, empêche les mots de mourir et s’amuse même à slamer avec le youtubeur Squeezie et les rappeurs Big Flo & Oli.
Lyon Capitale : Êtes-vous une grande gueule ? Alain Rey : Non, je ne pense pas. Dans le métier que je fais, il faut savoir être modéré, être à l’écoute, pondérer ses propos. Mais c’est parfois nécessaire pour rétablir certaines vérités. Quel genre de vérités ? Alain Rey © Corentin Fohlen/Divergence – Oct. 2018, Paris. Par exemple, on entend dire que la langue française s’appauvrit. Ça me fout en rogne. La notion de langue pure est un mythe. La langue doit se nourrir d’emprunts si elle veut survivre. Les langues ne sont pas faites pour rester statiques. Les apports peuvent faire peur à certains, car ils font bouger la langue, mais ils sont le témoignage de sa vitalité. J’ai coutume de dire qu’il existe deux sortes de langues : les langues mortes et les langues vivantes. Les langues mortes n’ont rien à craindre, car elles vivent à l’abri dans les textes, comme dans un cercueil en quelque sorte. Quant aux langues vivantes, ce sont des langues malades car, comme tout organisme vivant, elles se défendent contre les agressions extérieures. Elles sont pour ainsi dire auto-immunes. Une langue est vivante quand elle épouse l’évolution de la société. À quelles agressions extérieures la langue française doit-elle faire face ?
Il vous reste 85 % de l'article à lire.
Article réservé à nos abonnés.