IL Y A 20 ANS DANS LYON CAPITALE – Le directeur de la Banque Clément est écarté pour avoir spéculé avec les portefeuilles de quelque 160 clients. Le préjudice est important : on parlait de 1 million de francs par clients “volés”.
150 millions de francs. Un préjudice dantesque pour ne pas dire tape-à-l’œil. C’est une somme totale qui a pourtant été dérobée de 160 comptes clients par la société Banque Clément. L’entourloupe a débuté en 1993, où les premières sommes ont été jouées en bourse, sous les yeux dubitatifs, certes, mais confiants des quelques malheureux clients. Le mensonge pourtant perdure au gré de promesses évidemment non tenues. 3 ans plus tard, les pertes ont pris des allures de trou béant, alertant alors les victimes condamnées à couler avec le navire. 1999, la Banque Clément est mise en liquidation par la Commission bancaire, scellant le sort de la petite entreprise issue d’un mariage entre le Crédit du Nord et Verveine SA.
Un article de Lyon Capitale n°159 paru le mercredi 24 février 1998, signé par Gilles Leluc.
Banque Clément : 160 portefeuilles avec pertes et fracas
Fin 97, la Commission bancaire a évincé le directeur de la Banque Clément, petite société de gestion lyonnaise qui a fait joujou à la Bourse avec les portefeuilles de 160 clients. Alors qu'un expert a été diligenté pour examiner cette affaire, on parle de quelque 150 millions de francs partis en fumée.
Des clients plumés par leur gestionnaire de patrimoine, ce n'est malheureusement pas une première. Toutefois, dans le cas de la Banque Clément, l'affaire dépasse les limites du concevable. Car voilà un établissement spécialisé dans la gestion de portefeuilles adossé à une banque de renom, le Crédit du Nord (actionnaire à 34 %), qui s'est "amusé" à spéculer en Bourse durant quatre ans sur quelque 160 portefeuilles de clients. Le préjudice porterait sur un million de francs par tête, pas une paille pour ces clients qui sont loin d'être des aventuriers de la roulette boursière. Pour la plupart cadres ou commerçants à la retraite, ces personnes qui n'avaient aucune connaissance des spéculations de type Monel (Marché des options négociables de Paris) s'en étaient remis en toute confiance à leur gestionnaire, n'espérant retirer des placements effectués qu'un complément de retraite, un petit plus améliorant l'ordinaire.
Confiance aveugle
Léger retour en arrière. La Banque Clément et Cie naît en 93 d'un mariage entre le Crédit du Nord et Verveine SA, une société détenue par quatre personnalités lyonnaises dont Henri Rossignol, ancien syndic de faillites dans les années 70-80. Celui-ci devient président de la Banque Clément alors que la direction générale est confiée à un homme du Crédit du Nord, Pascal Sabin. Le Crédit du Nord doit assurer la logistique alors que la Banque Clément embauche des agents aux carnets d'adresses fournis pour constituer sa clientèle. Ainsi, Olivier Marre, un as de la persuasion en placements financiers qui entraîne régulièrement avec lui, de banques de gestions en sociétés de placements successives, des dizaines de vieilles connaissances (certains clients le connaissent depuis 20 ans) débarque à la Banque Clément avec, dans sa manche, une montagne de portefeuilles d'une valeur de 500 KF à 2 MF. Les premiers placements en Bourse débutent en novembre 93. Les clients croient à des opérations dites de type "classique", tel qu'il est stipulé sur le mandat de gestion qu'ils signent les yeux fermés. Certes, un intercalaire au contrat fait état d'éventuelles opérations sur le Monel Cac 40, une opération éminemment spéculative. Mais pour les détenteurs de portefeuille, ce terme, c'est du chinois ou tout comme. Il leur importe surtout de savoir qu'ils jouent en Bourse avec prudence, car ce sont leurs économies d'une vie d'épargne qui sont en jeu.
Fuite en avant
Jusqu'en 96, tout baigne. Le rendement est au rendez-vous. Mais le problème, avec le Monep Cac 40, c'est qu'il peut dispenser certains jours des gains illimités, et d'autres, des pertes sans fin. Pourtant, Henri Rossignol se veut rassurant. Il réunit les clients autour d'un déjeuner pendant le Grand prix de tennis de Lyon pour leur claironner : "Votre capital va évoluer d'au moins 20 %", ajoutant, visionnaire et grand prince, qu'on peut perdre sur deux mois et gagner beaucoup par la suite. Nous sommes fin 96 et c'est à cette époque que les premières pertes significatives apparaissent. Selon une victime, celles-ci sont immédiatement compensées par des ventes d'actifs qui ne parviendront jamais à résorber le trou. L'effet d'entraînement vers la dégringolade provoquée par cette fuite en avant est amorcé. De plus, aucun plafonnement des spéculations n'est observé alors qu'en règle générale, ce type d'opération boursière ne s'effectue qu'à hauteur de 5 % du capital placé, lequel constitue une couverture à toute mauvaise position sur l'échiquier boursier. Si bien que fin 97, les débits dépassent allègrement les 200 KF pour l'année au mépris des possibilités financières des clients. Mal informés par des relevés d'opérations obscurs, trop compliqués pour eux, ou noyant les pertes dans la masse du portefeuille global, certains clients s'inquiètent. Les intermédiaires, Olivier Marrel en tête, tentent de temporiser. "Nous nous sommes trompés d'orientation", avouent-ils lors d'un déjeuner à trois de leurs victimes, et de promettre un changement de cap avec de prochaines rentrées financières. En face, peu crédules, les trois clients exigent de quitter le navire avant qu'il ne sombre. Alors le ton change. Les clients sont mis devant le fait accompli que la Banque Clément a ouvert des opérations sur septembre 98, soit sur 18 mois et non plus sur 3 mois maximum comme elle s'y était manifestement engagée. Nos clients malheureux comprennent que leur sort est désormais scellé à celui de la banque.
Les responsabilités à l'étude
Fin 97, dans les courriers que la Banque Clément adresse à ses clients qui ne se doutent pas de l'ampleur de l'affaire, la crise asiatique, qui survient un an après les premières pertes sur le Monep, est un beau prétexte pour justifier les mauvais placements de la banque. C'est, en fait, la déroute. De 200 KF de pertes en début d'année, l'une des victimes voit son débit grimper jusqu'à 800 KF tandis qu'une autre voit s'évaporer 2 MF. Pire. La banque lui réclame en plus 500 KF, l'avance contractée à son insu pour financer ses opérations sur le Monep. En haut lieu, l'ambiance est des plus électriques. Pascal Sabin, le directeur général, et Henri Rossignol son président se fâchent. Le premier claque la porte et la Commission bancaire évince le second pour lui substituer Patrick Alexis, un administrateur provisoire chargé de faire le grand nettoyage. Toutes les positions sur le Monep sont fermées, 160 clients sont avertis par lettre recommandée et un expert est diligenté. Au-delà du dégât financier provoqué par ces placements à perte, c'est bien sûr la part des responsabilités de la banque qu'il conviendra en premier lieu d'établir. L'expertise qui s'achèvera au mois d'avril devrait fortement aider à y voir plus clair. Toutefois, déjà des tendances se dessinent. Par la démission de son directeur général Pascal Sabin, puis la voix de son administrateur provisoire Patrick Alexis qui aurait offert aux victimes la perspective d'un arrangement à l'amiable, la Banque Clément fait amende honorable*. Il est vrai que tout au long de cette affaire, les comportements des gestionnaires qui ont caché à leurs clients la réalité de la situation, les informations écrites incomplètes, les faux prétextes et surtout, la facture de ce fameux mandat de gestion qui a autorisé les mouvements en nom et place des détenteurs de portefeuille sont autant d'éléments qui interrogent. 'Il s'agissait d'un mandat de gestion classique, c'est-à-dire prudente", fait remarquer maître Halpern, chargé de défendre les intérêts des victimes. Et de poser la question de la compatibilité d'interventions sur le Monep Cac 40, à valeur hautement spéculative, avec ce mandat. L'expert devra par ailleurs examiner la raison qui a incité la banque à ouvrir des opérations sur 18 mois et non plus sur 3 mois maximum, tout comme il aura à établir, entre autres, les courtages et commissions débitées au détriment des victimes. Car pour maître Halpern, il est clair qu'"à partir d'un certain moment, la banque a voulu faire du courtage à tour de bras", ce qui pourrait expliquer en partie le faramineux volume d'échanges réalisés en 4 ans. À titre d'exemple, l'une des victimes dont les pertes avoisinent le million de francs lourds a versé dans cette course effrénée plus de 225 KF de frais à la banque, soit un quart de sa perte totale. À un tel tarif, "on ne peut pas dire : c'est le jeu normal de la Bourse, témoigne un gestionnaire de portefeuilles indépendant. Il ne s'agit pas d'une perte correspondant à un fonctionnement normal du marché." D'autant que ces opérations reproduites à l'identique sur 160 portefeuilles font davantage l'effet d'un système, d'une machinerie sciemment mise en place, que d'une malchance inouïe. "Ces gens-là sont les instruments d'un règlement de compte", estime encore maître Halpern qui pointe du doigt les guerres intestines de la Banque Clément. Pour l'instant, celle-ci affiche un bénéfice de 3,3 MF pour 96. Au vu des commissions ponctionnées sur ses clients du Monep, ces résultats n'étonnent pas vraiment. On a donc aussi toutes les raisons de croire que la viabilité de la banque n'est pas en cause. À moins qu'elle ait engagé elle aussi des fonds propres dans l'aventure du Monep, hypothèse avancée par certains observateurs de la finance lyonnaise qui expliquerait la volonté du Crédit du Nord de clôturer au plus vite "l'action Clément". "C'est une affaire qui risque d'aller très loin", note encore l'un de ces observateurs, soucieux comme beaucoup de préserver son identité. Dans le microcosme bancaire, peu épargné par les scandales ces derniers temps, on se prépare à l'éventualité d'un nouveau grand déballage public.
* Nous n'avons pu entrer en contact avec Patrick Alexis pour lui permettre de s'expliquer.
"La crise asiatique à bon dos"
Le Monep ? À l'époque, j'ai essayé de m'y intéresser, mais je n'y suis pas arrivé", admet monsieur Jérôme (1) qui tente de rassembler ses souvenirs. Cet ancien commerçant qui dispose alors avec son épouse d'un portefeuille de plus d'un million de francs est entraîné par la personne de confiance qui gère depuis longtemps ses placements à signer un mandat de gestion avec la Banque Clément. Il s'agit manifestement d'opérations en Bourse qui peuvent rapporter gros, mais il n'en sait pas plus. Aujourd'hui, tout est on ne peut plus clair. Suite à la découverte des mauvais placements de la banque, monsieur Jérôme a rouvert ses dossiers, épluché les relevés d'opérations et décortiqué le Monep. "Vous pouvez jeter ces papiers, ils ne servent à rien", lui lançait le gestionnaire auquel il demandait des explications sur les opérations en cours. Non seulement monsieur Jérôme a tout conservé, mais il a également fait très précisément les comptes. "De novembre 93 à décembre 95, tout a bien marché. On arrive à plus 100 000 F. Puis de janvier 96 à septembre 98, on obtient une moins-value de 556 435 F. En fait, ces opérations ont été réalisées par des incompétents. Le Monep devait seulement servir à doper le portefeuille." Quant à la fameuse crise asiatique, "elle a bon dos ! Elle n'y est pour rien du tout." Pour le gestionnaire qui l'a plongé dans le pétrin, monsieur Jérôme est là aussi lapidaire, mais pas dans le sens qu'on pourrait croire, "11 n'y est pour rien. Il était sous les ordres de ses patrons." Et de réattaquer sur la banque qui a procédé en quatre ans à des baisses successives de frais, de 6,8 % à 1,5 %, comme pour reconnaître ses fautes et calmer le jeu au moment où la grogne pointait chez les clients. Après quoi monsieur Jérôme évoque les pertes de son épouse évaluées à 660 KF alors que son apport initial dépassait juste les 450 KF. "Heureusement que j'ai bien gagné ma vie", lance-t-il pour se redonner le moral. Néanmoins, il escomptait que ces placements lui rapportent un revenu mensuel de 8 000 F. Il devra faire un trait dessus. Lui reste une pension de 3 800 F alors que sa femme est au chômage. Mais de regarder du côté des plus mal lotis que lui, "Certains ont perdu davantage en entraînant le fonds de roulement de leur entreprise." Pour monsieur Jérôme, c'est sûr. La Banque Clément va être obligée d'indemniser. À quelle hauteur ? Là est toute la question. Désormais, monsieur Jérôme se bat pour limiter les dégâts.
(1) Patronyme préservant l'anonymat du témoin.
Interview d'un gestionnaire de portefeuilles : "Notre profession est très réglementée"
Contrairement à ce que l'affaire de La Banque Clément peut laisser croire, la gestion de portefeuilles est une activité extrêmement surveillée et codifiée. Sous réserve de conserver l'anonymat, un professionnel a bien voulu nous expliquer le fonctionnement de ces sociétés, à commencer par celui de sa propre boutique.
Lyon Capitale : La gestion de portefeuilles peut-elle facilement déboucher sur des dérives ?
Le gestionnaire dans tout ce qui est humain, il y a toujours des dérives possibles. Mais la gestion de portefeuilles est une profession strictement réglementée et placée sous le contrôle de la Cob (Commission des opérations de Bourse). De plus, en qualité d'adhérent à l'Association française de gestion, nous avons un code déontologique. Ce qui n'est pas le cas des gérants de patrimoine ou des conseillers financiers sous le nom desquels on trouve des vendeurs de produits financiers, des professionnels juridiques, etc.
Comment établissez-vous le contact avec le client ?
Nous effectuons d'abord une analyse détaillée, en fonction de son patrimoine, des besoins et des objectifs du client. Après quoi nous lui établissons une proposition par écrit. Nous nous revoyons ensuite pour examiner la situation, redéfinir les objectifs, nous entendre sur le degré de risques et de contraintes qu'il pourrait accepter. Tout est stipulé dans un mandat de gestion qui a reçu l'agrément de la Cob. Sont précisées notamment les opérations autorisées et celles qui sont interdites, les différents documents que le client va recevoir. On y trouve enfin les conditions de résiliation du mandat et la rémunération du gestionnaire.
Quelle est justement votre rémunération ?
Elle oscille entre 1 et 1,5 % des capitaux gérés. Le client est prévenu avant chaque prélèvement, lequel est semestriel et s'effectue 15 jours après la notification au client. Sinon, ce dernier a aussi le choix de la rémunération aux résultats, la commission s'élevant à 10 % des plus-values obtenues. En cas de moins-values, nous touchons des honoraires qu'en cas de résorption de ces moins-values. Nous sommes là dans la moyenne de la profession.
Pour placer en Bourse de manière satisfaisante, quel fonds minimal faut-il engager ?
Il faut compter 800 KF pour un portefeuille offrant une bonne marge de manœuvre. Cela veut dire une possible diversification à l'international. Les portefeuilles de 1 MF ont en général des résultats très vite supérieurs toute proportion gardée. Un épargnant qui vient vous voir avec 500 KF, vous ne le prenez pas ? Certains de nos clients ont commencé avec seulement 100 KF. Mais nous leur avons proposé de rejoindre un fonds commun de placement (1). Sinon, l'essentiel de ma clientèle possède un portefeuille allant de 500 KF à 1,5 MF.
Quel est le type de placements que vous préconisez ? Vous vous amusez à jouer sur le Monep ?
Nous recherchons une optimisation de l'épargne tout en demeurant très prudents. Quant au Monep, j'ai demandé à la Cob un agrément excluant ce type d'opérations. Car le Monep crée dans l'esprit de l'épargnant l'idée d'un grand potentiel de gain, mais pas celle du fort potentiel de perte qui en est la contrepartie. Je ne suis pas sûr que ceux qui acceptent de placer sur le Monep évaluent les risques en pleine connaissance de cause. Quand on commence à perdre, on a alors envie de se refaire. Cela devient du casino.
Quels ont été vos résultats 97 ?
La crise asiatique vous a-t-elle joué des tours ? En 97, avec environ 250 clients, nous avons réalisé 3 MF de chiffre d'affaires. Notre bénéfice devrait dépasser les 400 KF, ce qui est un résultat satisfaisant. Pour ce qui est de l'Asie, nous abordons les marchés émergents avec beaucoup de prudence, sans engager plus de 4 % d'un portefeuille. Nous travaillons en fait exclusivement sur les très grands marchés mondiaux. Propos recueillis par Gilles Leluc
C'est toujours drôle de lire 'notre profession est très réglementée' ! . Depuis il y a eu les subprimes en 2008, et il y aura encore d'autres magouilles à grande échelle. Il est temps de mettre en place 'la suite' et d'investir dans la construction d'un système post-monétaire en démonétarisant des biens par financements citoyens.
C'est toujours drôle de lire 'notre profession est très réglementée' ! . Depuis il y a eu les subprimes en 2008, et il y aura encore d'autres magouilles à grande échelle. Il est temps de mettre en place 'la suite' et d'investir dans la construction d'un système post-monétaire en démonétarisant des biens par financements citoyens.