Lyon Capitale n°161
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Il y a 20 ans : Chroniques d'un krach annoncé

IL Y A 20 ANS DANS LYON CAPITALE – Début 1998, la Banque Clément est sous le feu des critiques. Son directeur, qui a spéculé avec les économies de 160 clients, est écarté. Pour sa défense, il dénonce alors le Crédit du Nord, un actionnaire trop gourmand qui aurait forcé ces spéculations.

Lyon Capitale n°161, 4 mars 1998, © Lyon Capitale

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En 1998, 160 clients de la banque Clément ont reçu un appel quelque peu inquiétant de leur banquier. En jouant sur les marchés financiers (et les placements de type Monep pour être précis), elle a fait perdre environ 1 million d'euro à chacun d'entre eux. Rapidement mis en cause, le directeur de l'établissement se défend en mettant une partie de ces dangereuses initiatives sur le dos d'un actionnaire de poids de sa banque, le Crédit du Nord. En voyant les bénéfices engrangés par les premiers placements Monep, qui sont alors risqués mais très intéressants, le Crédit du Nord aurait fait pression pour récupérer les placements, et continuer à miser dessus. La suite de l'histoire est tristement classique. Au départ, les investissements s'avèrent plus que rentables, puis petit à petit deviennent catastrophiquement instables, voire toxiques.

Lyon Capitale n°161, 4 mars 1998, p. 7 © Lyon Capitale

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Un article publié dans Lyon Capitale n°161 le mercredi 4 mars 1998, signé par Gilles Leluc.

Chronique d'un krach annoncée

Henry Rossignol, président "en congé" de la Banque Clément, accuse clairement le Crédit du Nord dans l'affaire des Lourdes pertes boursières qui ont affecté 160 de ses clients. Des déclarations qui ne sont pas sans fondement pour peu qu'on creuse le dossier et qui montrent que les jours de Clément et cie étaient peut-être comptés depuis juillet 95. Explications.
La mise à la une des déboires de 160 clients de la Banque Clément (Lyon Cap' n° 159) a fait remonter à la surface une guerre intestine jalonnée de gros sous. Il est aujourd'hui un fait établi que 160 portefeuilles gérés par cette banque ont subi de lourdes pertes estimées par certains à un million de francs chacun, suite à de malheureux placements en Bourse de type Monep. Un marché hautement spéculatif qui a traversé un deuxième semestre 97 particulièrement en dents de scie à cause de la crise asiatique. Toutefois, les premières difficultés de la Banque Clément face à ses placements remontent à septembre 1996. Et à cette époque, si la Bourse était encore sage, il semble qu'à la tête de l'établissement, le ver était déjà dans le fruit. A savoir qu'entre les deux camps actionnaires, Henry Rossignol, Paul Dini et Georges Meylan d'une part (66 %) et le Crédit du Nord d'autre part (34 %), le temps n'était pas au beau fixe. On pouvait prévoir un sérieux coup de tempête. Depuis sa création en 1990, la Banque Clément se porte bien, d'autant mieux qu'elle a engagé dès 1993 des opérations sur le Monep CAC 40 qui lui permettent d'enregistrer des résultats financiers flatteurs. "Jusqu'à la mi-96, les opérations sur le Monep se sont révélées très bénéficiaires pour la clientèle avec des résultats supérieurs de vingt points à ceux du marché", explique Henry Rossignol dans les colonnes de Lyon Figaro du 24 février. Des résultats qui contentent les clients mais aussi la banque qui prélève au passage ses courtages de 6,8 %. On comprend dès lors que l'actionnaire minoritaire, mais le véritable professionnel de cette aventure bancaire, le Crédit du Nord, se soit senti soudain un bel appétit. "En juillet 1995, le Crédit du Nord (...) a exigé la majorité", poursuit Henry Rossignol qui ne trouve pas d'autre parade que de faire traîner les choses pour ne pas perdre le contrôle de "sa" banque. Or, en espérant gagner du temps, Henry Rossignol ne se doute peut-être pas qu'il va au-devant de sérieux ennuis. Durant un an, la Banque Clément continue d'engranger des gains mais en septembre 96, "les choix effectués par notre banque sur le Monep ont été pris à contre-pied par l'évolution du Cac 40. Or, le Crédit du Nord ne nous a rien dit pendant quatre mois. Il a laissé les choses se détériorer sans nous en aviser... ", explique encore Henry Rossignol dans Lyon-Figaro. Pour Patrick Alexis, l'administrateur provisoire de la Banque Clément nommé en décembre 97 par la Commission bancaire, "Le Crédit du Nord voulait sortir du capital. La Banque Clément n'a pas trouvé d'actionnaires pour le remplacer. Comme cela se passe lorsque deux partenaires ne veulent plus cohabiter, le Crédit du Nord est revenu en disant, "c'est toi qui t'en va"." Un règlement de comptes qui interroge quant à la manière. Au vu des conséquences désastreuses de la clientèle que ces banquiers prétendaient servir. Bien sûr, par la voix de Patrick Alexis qui, curieusement, semble jouer la carte du Crédit du Nord, les responsabilités incomberaient à Henry Rossignol. Lequel fait valoir à son tour que le Crédit du Nord contrôlait entièrement les opérations à partir de 1997.

Le Crédit du Nord prend les commandes

Techniquement, l'écheveau des responsabilités est complexe. Jusqu'à fin 96, la Banque Clément est le donneur d'ordres et le Crédit du Nord, le comptable. Entre la Banque Clément, petite banque d'une dizaine de salariés, et son imposant partenaire, le Crédit du Nord, qui gère la suite des opérations une fois qu'elles sont lancées sur le marché, structurellement, il y a un monde. Entre les deux, le contrôle de suivi des positions réclame également une logistique bien huilée que seul le Crédit du Nord a les moyens d'assumer. "Des positions de type Monep, avec des opérations croisées, sont toujours très difficiles à suivre, confirme un PDG de société de gestion collective pour une grande enseigne bancaire. Elles nécessitent un outil informatique important qui permettent de faire le bilan à tout moment pour valoriser ensuite en dynamique.' Mais Patrick Alexis balaie d'un revers de main l'idée que la Banque Clément n'ait pu suivre les opérations : "La Banque Clément possède les mêmes terminaux que le Crédit du Nord. Il lui était possible de savoir ce qui se passait en temps réel." Alors intervient le second acte. Face aux pertes qui atteignent alors les 10 MF fin 96 selon Henry Rossignol, les actionnaires se fâchent et le Crédit du Nord impose sa loi. "En janvier 1997, le Crédit du Nord nous a imposé de placer le Monep de la Banque Clément sous tutelle totale de ses services alors qu'auparavant, il était uniquement sous tutelle de contrôle, raconte Henry Rossignol. On a accepté et le Crédit du Nord a envoyé un nouveau directeur général." A notre question de savoir qui pilote effectivement la Banque Clément à cet instant, Patrick Alexis apporte une réponse étonnante. "Dans une structure où il y a 4 ou 5 cadres (la Banque Clément, ndlr), on ne sait pas qui pilote ou ne pilote pas. C'est tellement petit qu'il y a un "animus" qui s'établit entre les dirigeants comme disent les juristes." Quant au nouveau directeur général envoyé par le Crédit du Nord, "il a été entraîné par l'ensemble du système".

Alerte rouge non déclenchée

On connaît malheureusement la suite. En 97, les opérations sur le Monep évoluent catastrophiquement contre les clients. Le Crédit du Nord possède alors tout pouvoir. "L'alerte rouge aurait pu être déclenchée", fait valoir le PDG de la société de gestion collective. Il existe des freins, des disjoncteurs qui permettent de tout couper dans de tels cas." Puis tentant de justifier cette curieuse politique boursière : "Manifestement, les pertes étaient arrivées à un tel niveau qu'ils ont pensé pouvoir les réduire. Mais les opérateurs sont partis à contre-pied sur un marché qui a atteint des sommets en juillet qu'on a retrouvés en décembre." Avec entre-temps, la chute des cours consécutive à la crise asiatique dont le point le plus bas se situe les 27 et 28 octobre. Résultat : les clients trinquent sèchement et la Commission bancaire arrête la mécanique. Patrick Alexis et Henry Rossignol minimisent les pertes globales. Environ 100 MF selon le premier, de 80 à 85 MF pour le second. Des victimes font état de pertes personnelles allant jusqu'à 2 MF. Pour une fois d'accord, Henry Rossignol comme Patrick Alexis refusent de parler de clients ruinés. Néanmoins, certains d'entre eux ont tout perdu. Ils devront en plus éponger un joli débit de centaines de milliers de francs. L'expertise qui est lancée permettra d'y voir plus clair sur le montant exact des pertes. "De toute façon, le Crédit du Nord paiera", affirme Patrick Alexis comme pour prévenir une certaine révolte. Pour le Crédit du Nord, aujourd'hui filiale à 100 % de la Société Générale, la pilule ne devrait pas être trop dure à avaler. Avec un peu de chance, la Banque Clément lui reviendra en totalité. On se demande toutefois si d'ici le dénouement final - Henry Rossignol promet une éventuelle assignation en justice - la coquille ne sera pas définitivement vidée de ses clients qui auront sagement plié bagages.
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