Il y a 20 ans dans Lyon Capitale – Élu grâce aux voix du FN à l'élection régionale de 1998, Charles Millon ne savoure pas une victoire saluée par l'unanimité. Au contraire, nombreux sont les citoyens et les politiques à le conspuer, certains même depuis son propre camp.
Les élections régionales de 1998 sont celles qui ont fait connaître le nom de Millon à tous les français, et pas seulement à ceux de la Région. En acceptant les voix du FN pour se faire élire à la tête du conseil régional, l'élu s'est construit une réputation d'opportuniste déloyal. Il faut dire qu'à l'époque, Chirac avait donné des consignes claires : pas d'alliance avec l'extrême droite. Le nouveau chef de région siège alors sur un trône bancal. L'opposition le conspue, les citoyens le sifflent et même sa propre majorité a du mal à accorder ses violons. En 1998, on a bien du mal à voir comment Millon va pouvoir administrer la région sans coups d'éclats. Quelques jours seulement après son élection, ça ne rate pas. L'Ecole Normale Supérieure de Lyon donne le ton, et annonce son refus de "collaborer avec une telle majorité régionale".
Un article publié le mercredi 1er avril 1998.
La Région bloquée
A peine dix jours se sont écoulés depuis l'élection de Charles Millon à la tête de la région Rhône-Alpes avec l'appui du Front national et déjà le passif s'alourdit. Mise à l'index par une large frange de citoyens, y compris du côté de ses partenaires naturels, la Région est en situation de blocage. Alors que l'on enregistre le premier refus de subvention, l'Ecole normale supérieure donne le coup de grâce en annonçant son refus de "collaborer avec une telle majorité régionale". Et ce n'est sûrement qu'un début.
Charles Millon l'a dit, pour lui la politique ne se fait pas dans la rue. Qu'importe donc si des milliers de Lyonnais ou de Grenoblois manifestent leur révolte, il restera sourd à la pression populaire. Mais sera-t-il également insensible aux manifestations d'inquiétudes des partenaires de "son" institution ? Les lettres ouvertes s'accumulent, les avertissements tombent, comme autant de signes d'un formidable "blocage éthique" vis-à-vis d'une Région compromise avec le FN. Alors que la plupart des institutions culturelles ont adressé à Charles Millon l'expression de leur plus vive inquiétude, un directeur de salle de spectacles, Maurice Jondeau à l'Hexagone de Meylan, a refusé de toucher la subvention annuelle de 350 000 F de la région Rhône-Alpes. "L'argent pour la culture ne doit en aucun cas provenir de personnes complices d'une politique égoïste, xénophobe et raciste", a-t-il déclaré à l'agence de presse Reuters. Cet acte insensé ou courageux dénote un dysfonctionnement grave. La confiance est rompue, au point de refuser la tutelle morale et le soutien financier de l'institution régionale. Du côté de la Région, le malaise dans les services est patent. Les fonctionnaires de la Région craignent que la qualité du service public en souffre. Incapables d'apporter des réponses aux inquiétudes de leurs partenaires, beaucoup de chargés de mission ont annulé leurs rendez-vous sur le terrain, tandis que des affaires en cours repartent sous la pile des dossiers. Par exemple, ce n'est sûrement pas le moment de développer "le réseau de villes", quelques-unes d'entre elles ayant pris, e par la voix de leur maire, des positions clairement anti-fln. L'agitation a même gagné les rangs du Conseil économique et social, fidèle partenaire de l'instance régionale. C'est ainsi que la dernière séance plénière de cette assemblée paritaire à rôle consultatif, le 26 mars dernier, a été marquée par le départ en fanfare de plusieurs associations régionales, parmi lesquelles la fédération des parents d'élèves, la Confédération du logement ou l'Union nationale des associations de tourisme. Le président du CES, M. Geoffray, avait en effet refusé d'engager un débat sur l'élection de Charles Millon. "Les thèses du Front national sont des menaces pour l'existence même du syndicalisme démocratique", avait tenu à souligner l'union régionale CFDT. Enfin, le 26 mars également, l'Ecole normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud est venue grossir la fronde anti-Millon. De nombreux professeurs, chercheurs et membres du conseil d'administration ainsi que des élèves ont en effet annoncé clairement leur "refus de collaborer avec une majorité régionale soutenue par le Front national", et demandé à M. Millon de démissionner. La prestigieuse école doit en effet être délocalisée à Lyon en l'an 2000, selon les termes d'un partenariat conclu entre Etat, Ville de Lyon, Département et Région. "Ça n'a pas fait un pli, c'est une réaction éthique", explique Jean-Claude Zancarini, membre du conseil scientifique de l'ENS, déjà échaudé par l'épisode "Villa Gillet", et la campagne calomnieuse qu'avait subie cette maison croix-roussienne dédiée aux écritures contemporaines. Les professeurs ont immédiatement réclamé la convocation d'un conseil d'administration extraordinaire, afin de revoir les conditions de la collaboration avec cette collectivité. "Mais personne ici ne peut revenir sur la convention de délocalisation signée par l'État", précise le chargé de mission "communication" de l'ENS, Jacques Deschamps. L'un des plus fervents artisans de cette délocalisation, Alain Mérieux, deuxième sur la liste menée par Charles Millon, doit aujourd'hui se mordre les doigts. A l'image de l'institution régionale elle-même, il détruit d'un revers de la main ce qu'il avait mis de tant de temps à obtenir et construire. A.-C. J.