Il y a 20 ans : les transactions imprudentes de la ville
par Thomas Frénéat
IL Y A 20 ANS DANS LYON CAPITALE – Besoin de liquidités oblige, la ville de Lyon met en vente une partie de son patrimoine immobilier entre 1997 et 1998. Si d'ordinaire les municipalités préfèrent vendre leur legs aux enchères, la ville de Lyon opte pour un gré à gré, pas vraiment taillé pour la transparence.
En 1998, c'est toute une partie du patrimoine lyonnais qui glisse du public au privé. La manœuvre doit se faire habilement, pour éviter tout conflit d'intérêt ou embrouillement des marchés publics. Raymond Barre fait alors de la transparence de ces ventes un cheval de bataille, qui se prend un peu les pattes dans le tapis lorsqu'il est décidé de passer par du gré à gré, pas vraiment la méthode la plus transparente. D'autant plus que la chambre des Notaires avait avisé la mairie de faire une vente aux enchères. Au final, Lyon se sépare d'une partie de la rue Grolée notamment, mais aussi, plus étonnant, une villa située en plein Paris. La Villa Pézieux, récupérée par la ville de Lyon dans les années 1920, abritait jadis quelques étudiants des beaux-arts venus dans la capitale terminer leurs études. Gorgone ou Gasquet y ont par exemple séjourné.
Un article de Lyon Capitale n°160 du mercredi 25 février 1998, signé par Natacha Mouillé.
Les transactions imprudentes de la Ville
Tout en ponctuant chacune de ses annonces par le mot transparence, la Ville de Lyon a choisi, pour débuter le plan de cession de son patrimoine privé, de vendre en majorité de gré à gré plutôt qu'aux enchères. Et ce, malgré l'avis de la chambre des notaires et le modèle donné par d'autres grandes villes. Cette décision va justement plutôt à l'encontre de ladite transparence.
En janvier dernier, la Ville de Lyon s'est lancée dans le plan de cession d'une partie de son patrimoine immobilier privé, avec pour principal mot d'ordre la transparence. Raymond Barre avait lourdement insisté sur ce point, avant de transmettre la première liste de biens mis en vente (9 immeubles et une dizaine d'appartements en copropriété). Tout fut, selon ses dires et ceux de son adjoint, Jean-Marc Chavent, scrupuleusement organisé autour de ce souci majeur : demande de l'avis du tribunal administratif, création d'un comité consultatif chargé de veiller au bon déroulement des affaires, mise en place d'une antenne d'information en plein centre-ville, etc. Pourtant, au milieu de ce déballage de précautions, une anomalie subsiste parmi toutes les règles qu'exige la transparence : le choix du mode de vente. En effet, il a été, décidé de vendre 60 % des biens de la première liste au gré à gré, autrement dit, à la première personne qui se présente. Des agences immobilières, qui rafleront au passage les honoraires versés par les acquéreurs, servent d'intermédiaires. La décision a été prise à contre-courant des modèles offerts par Paris, Marseille et Grenoble qui, elles, ont cédé la quasi-totalité de leurs biens immobiliers aux enchères, soit au plus offrant. Pour la Ville de Paris ce dernier choix est le plus judicieux. Hervé Croux, bras droit de l'adjoint chargé du domaine de la Ville de Paris déclare en effet : "Quand on est une collectivité locale et qu'on gère des fonds publics, mieux vaut choisir le système le plus égalitaire possible qu'est l'adjudication. On est sûr de contenter le plus grand nombre, aussi bien les personnes privées que les agences. Tout le monde est mis sur le même pied." A Lyon le gré à gré a été préféré, malgré l'avis de la chambre des notaires, représentée au comité consultatif par Maître Picot. Ce der-nier avait préconisé l'adjudication pour le bien de la ville et par souci de transparence justement. Membres de ce même comité, les présidents de la Fédération nationale des agents de l'immobilier (FNAIM) et de la Confédération nationale des administrateurs de biens (CNAB) s'étaient prononcés quant à eux en faveur du gré à gré. Mais si les notaires n'ont aucun intérêt personnel dans le choix de tel ou tel mode de vente, l'impartialité des présidents des deux associations est plus difficile à établir. Ce sont en effet leurs poulains qui empocheront les honoraires de chaque cession au gré à gré, alors qu'ils se trouvent l'excuse de l'adjudication. Quoi qu'il en soit, la position très claire de Jean-Marc Chavent, adjoint à la gestion du patrimoine, a sans aucun doute fait pencher la balance en leur faveur. Ce dernier, grand défenseur de l'image de marque des professionnels de l'immobilier a en effet déclaré le 22 janvier, lors du club de l'activité immobilière, que si ça n'avait tenu qu'à lui ces derniers "auraient bénéficié d'un mandat exclusif dans l'opération", étant les "plus qualifiés pour la mener à bien". La simplicité n'a sûrement pas motivé ce choix en marge de ce qui se fait habituellement. Il nécessite, en effet, des démarches complexes : la sélection de quatre agences immobilières qui s'interdisent de vendre mais recherchent les acquéreurs ; la création d'un bureau central qui ne vend pas non plus, mais donne la liste des biens et celle des quelques 70 agences seules habilitées à rédiger un compromis de vente, lesquelles sont obligatoirement affiliées aux chambres syndicales de la FNAIM et de la CNAB. De plus, s'il est vrai que l'affaire des appartements de la Ville de Paris a encouragé la municipalité à préférer les enchères pour se décharger de toute responsabilité et éviter de nouveaux scandales, la situation lyonnaise, bien différente, ne justifie pas pour autant une moins grande prudence et une transparence relative. D'autant que personne n'a oublié que deux élus ont bénéficié à une époque d'appartements de la ville aux loyers très modérés.
Hors de question de brader le patrimoine
Le premier argument donné par monsieur Chavent pour justifier la décision de la Ville est le prix d'achat : "Il n'est pas question de brader le patrimoine. Or les enchères nécessitent une décote sur la valeur des biens pour être plus attractives". Et de citer le cas de Paris dont le chiffre de vente "n'est pas si fabuleux qu'ils veulent bien le dire". Selon lui, le système du prix fixé selon les lois du marché, ferme et non négociable, utilisé pour le gré à gré, constitue donc un avantage. Seulement, le succès rencontré par la première liste laisse à penser que les enchères auraient pu monter très haut. En effet plus de 200 acheteurs potentiels se sont manifestés. Par ailleurs, la Ville a la possibilité lors de l'adjudication de prévoir un retrait des biens avant la vente, si moins de trois acheteurs se présentent. On aura de "toute façon, bientôt l'occasion de comparer la rentabilité des deux modes de ventes, les enchères débutant en avril prochain. Autre argument avancé par l'adjoint à la gestion du patrimoine : le gré à gré offre la possibilité de contrôler le profil des acquéreurs. Le conseil municipal doit, en effet, donner son accord sur chaque compromis. Jean-Marc Chavent déclare vouloir ainsi éliminer les "marchands de sommeil" qui promettent de restaurer un immeuble et finalement le louent en l'état, ou encore les "touristes de la plus-value" qui achètent et revendent dans la même journée. Seulement les combines son nombreuses qui permettent à ce genre de spéculateurs d'acheter sans se faire repérer, de déjouer sans trop de difficulté la surveillance. Le tri effectué par le conseil municipal est donc loin d'être fiable. Le choix de la vente de gré à gré n'est donc pas si avantageux qu'il n'y paraît, et reste relativement aventureux. Affichant mille précautions complexes, par souci d'une transparence préservée, la Ville n'en rend la transaction que plus obscure. Elle prend d'autre part le risque de provoquer un délit d'initiés. On veut bien croire que Jean-Marc Chavent refuse de renseigner ses collègues et les renvoie au bureau d'information. Mais si l'on découvre dans la liste des acquéreurs qui sera publiée après la délibération du conseil municipal, le nom d'un élu, de son cousin germain ou de sa maîtresse légitime, les critiques ne manqueront pas de pleuvoir.