Lyon Capitale n°165
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Il y a 20 ans : Pleins feux sur la gêne éthique

IL Y A 20 ANS DANS LYON CAPITALE – 1996, c'est l'année de Dolly la brebis, premier mammifère de l'histoire à être cloné, mais aussi celle d'intenses débats sur les OGM. Lors du Festival du film scientifique d'Oullins, en 1998, experts et amateurs se retrouvent pour discuter des enjeux de la génétique.

Lyon Capitale n°165, 1er avril 1998,  © Lyon Capitale

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La fin des années 1990 marque un bond considérable dans la connaissance de la génétique. En 1996, un laboratoire écossais réussi pour la première fois à cloner un mammifère, Dolly la brebis. En 1998 à Oullins, alors que se lance le festival du film scientifique, les questions sur l'éthique dans la génétique sont sur toutes les lèvres. Une des craintes soulevées par les experts concerne la commercialisation des avancées génétiques, ou le risque d'appropriation des découvertes pour faire de l'argent. Si un comité d'éthique national s'empare de ces questions depuis 1982, il ne reste que purement consultatif. Un autre sujet qui fait jaser en 1998, l'utilisation de nos données personnelles à caractère génétique par des sociétés privées. Un sujet qui résonne en 2018, où des sociétés d'assurances utilisent de plus en plus des tests génétiques pour définir le profil de leurs clients.

Lyon Capitale n°165, 1er avril 1998, p.11 © Lyon Capitale

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Un article publié dans Lyon Capitale n°165 le mercredi 1er avril 1998, signé par Arielle Hyver.

Pleins feux sur La gêne éthique

En cette fin de millénaire, la science provoque souvent autant d'inquiétudes que d'espoirs. C'est le cas tout particulièrement de la génétique, dont les progrès considérables obligent à se reposer des questions d'ordre éthique. Un éclairage alarmant mais sans doute nécessaire était apporté ce week-end par le généticien Axel Kahn, invité par le festival d'Oullins.
Chaque année, le festival du film scientifique d'Oullins propose en complément de sa programmation cinématographique, une série de conférences, en rapport avec les thèmes qu'il souhaite mettre en avant. Pour cette édition 1998, Daily et maïs transgénique obligent, 0 ne pouvait faire moins que de mettre l'accent sur la question très actuelle des manipulations génétiques. Dimanche, il accueillait donc le généticien Axel Kahn, personnalité réputée non seulement pour ses travaux scientifiques, mais aussi pour ses prises de position répétées sur le front de l'éthique. Les considérables progrès de la génétique, science née avec le début du siècle, et les possibilités nouvelles qu'ils apportent, posent en effet de très sérieuses questions touchant à l'avenir de notre civilisation. On connaît le débat sur le fait de savoir s'il faut autoriser ou non le clonage humain, à supposer qu'il devienne un jour techniquement possible. L'annonce du clonage de la brebis Dolly a fait récemment resurgir cette question au cœur de l'actualité. Mais en réalité, voici plus de vingt ans que les préoccupations éthiques font un retour en force du côté des généticiens confrontés à de tous nouveaux pouvoirs. Aujourd'hui que l'on sait prédire le destin génétique d'un individu, à savoir sa prédisposition à souffrir à terme d'une maladie d'origine génétique, telles certaines formes de la maladie d'Alzheimer ou de cancers du sein, quel usage doit-on faire de ces connaissances ? C'est pour tenter de répondre à ce type de questions, qu'a été mis en place le Comité consultatif national d'éthique. Composé de 40 membres nommés par Je président de la République, soit pour leurs compétences, soit parce qu'ils représentent des courants de pensées religieuses ou philosophiques, il est chargé d'émettre des avis sur tous ces sujets particulièrement délicats. Axel Kahn en fait partie depuis 1990 (voir interview). Dimanche, devant un public particulièrement attentif, ce dernier avait choisi d'attirer l'attention sur deux menaces, à son sens, essentielles. D'abord le risque d'appropriation des découvertes génétiques par une logique purement commerciale. Par exemple, il explique : "J'ai calculé ce que pourrait représenter le marché d'un test de dépistage génétique, comme celui utilisé pour les formes familiales de cancer du sein.'1. Et d'annoncer que ce dernier pourrait représenter à lui seul de 8 à 40 milliards de dollars, si l'on convainquait une femme sur dix d'y recourir. Or, s'agissant d'un cancer qui ne se prévient pas, ni ne peut se soigner mieux lorsqu'il est prédit, la logique éthique, voudrait au contraire que le dépistage soit réservé aux femmes appartenant à des familles à risque, et qui en font personnellement la demande. Quelle est la logique qui l'emportera ? Autre sujet d'inquiétude : l'usage des informations à caractère génétique par les sociétés d'assurances privées, les employeurs, les banques. Très préoccupant aussi, selon lui, le retour du mythe de l'inégalité des races et des individus, sous couvert d'une justification par les gènes qu'il dénonce comme absolument infondée. "Lin sujet qui fait malheureusement l'actualité de votre belle région", glisse-t-il au passage. Pour finir, en réponse à une question de la salle, il admet qu'un scientifique n'a pas de légitimité pour dicter leurs choix aux citoyens, mais qu'il est bien placé pour voir "plus loin", telle une vigie sur le mât d'un bateau. A lui donc de crier "danger", lorsqu'il voit un iceberg.

Entretien avec Axel Kahn

Lyon Capitale : Comment s'explique votre participation au Comité consultatif national d'éthique ? Axel Kahn : Pour une raison simple : je suis généticien humain, et démocrate. C'est-à-dire que je ne suis pas ignorant de [histoire, et de la façon dont certains idéologues se sont servis des sciences pour justifier leur message. Pour un généticien, il est normal d'avoir le souci de bien préciser ce que la génétique dit et ce qu'elle ne dit pas. Défense de mettre de l'idéologie sur ma science !
Quel est le rôle du Comité d'éthique ?
Ce n'est pas un comité des sages. Qui seraient les sages, à part des prêtres ? Son rôle se définit en rapport au débat démocratique. Il s'agit d'instruire une question, posée par les avancées des connaissances et des techniques. C'est généralement complexe, et l'objectif est de trouver une manière de l'aborder. De cette longue réflexion résulte un texte, à utiliser comme une contribution au débat démocratique. Il revient à la démocratie de reprendre fie débat, et éventuellement de le transposer dans le droit.
Et ce relais est-il bien pris, à votre avis, par le débat démocratique ?
Pas assez bien. Ce qui est repris dans les médias n'est généralement pas le cheminement de la réflexion, mais un avis manichéen du type, le Comité d'éthique autorise, ou interdit... Or ce qui est important, c'est le raisonnement qui a été suivi, pas sa seule conclusion.
Quel a été pour vous le débat le plus marquant ?
Les plus marquants sont les débats les plus difficiles. Je pense notamment à la question de la contraception et de la sexualité chez les malades handicapés mentaux, ou à l'application des traitements chimiques aux délinquants sexuels, ou encore à l'euthanasie, notamment chez des enfants prématurés viables, mais dont le cerveau a subi des dommages irréversibles. Ce qui fait la réflexion éthique, c'est l'existence d'une tension. Pas besoin d'éthique pour dire s'il est bien de tuer sa belle-mère I
Le dernier avis du Comité d'éthique portait sur la procréation par un couple lorsque l'homme est séropositif et la femme séronégative...
Là, le débat était simple, parce qu'il existe une réponse technique. L'insémination artificielle avec traitement du sperme permet en effet de limiter les risques de transmission du virus aux enfants à un niveau équivalent au taux de risque normal de malformation due au hasard.
Quels sont les sujets qui vous inquiètent le plus aujourd'hui ?
Ce qui me soucie le plus, c'est le retour en force d'une idée récurrente, celle d'un déterminisme biologique étroit. On voit réapparaître des théories attribuant aux gènes la responsabilité de la violence, de l'homosexualité, de la curiosité intellectuelle... toutes choses qui conduisent à mon sens inévitablement à une justification idéologique du racisme. L'autre aspect, c'est la question de l'utilisation par la société de la génétique prédictive, et du déclin de la solidarité qu'elle peut entraîner.
Et le clonage ?
C'est un très beau débat philosophique, qui, comme celui du maïs transgénique, illustre bien l'époque où nous vivons. Un épisode qui associe les sciences, les pressions économiques, et les réactions sociales. Je suis pour l'interdiction du clonage humain2, pour des raisons évidentes : il s'agit du respect de la dignité de la personne humaine. Pour l'instant ce débat ne menace pas les fondements de la société. La question est plutôt du côté du groupe d'une vingtaine de scientifiques américains qui viennent de réclamer la possibilité de réaliser des thérapies géniques ger-minales3. Mais mon pronostic est le suivant : compte tenu des forces en présence, le clonage humain sera légitimé dès lors qu'il sera devenu scientifiquement possible.
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