Avec les tribulations d’un mercenaire du licenciement toujours entre deux vols, Jason Reitman, néo-Capra affranchi d’idéalisme, livre une comédie aérienne dans sa forme mais étonnamment terre-à-terre dans son propos.
Après le lobbyiste cigarettier de Thank You for Smoking, Jason Reitman, à qui l’on doit également Juno, renoue avec la figure qu’il affectionne tant de l’irrésistible salaud. Il magnifie même ce grand écart (irrésistible vs. salaud) en faisant incarner la figure d’un mercenaire du licenciement de masse par le séducteur ultime : George Clooney, l’homme qui boit du café comme Miles Davis jouait de la trompette : avec un indécent sens du cool. Licencier cool, voilà le talent de Ryan Bingham (Clooney, donc, aérien et jazzy), mis à profit par des patrons trop lâches pour faire le sale boulot eux-mêmes. Le type est capable entres autres ressources (toutes humaines) de vous faire avaler que votre licenciement est l’opportunité que vous attendiez (« certains en ont profité pour bâtir des empires » répète à l’envie le flingueur). Un job d’autant plus facile pour lui qu’il se plaît à vivre sans attache (il donne même des conférences sur le sujet), manière de ne jamais s’impliquer et de s’éviter d’avoir à se mettre à la place des autres. Il vit ainsi entre avions et hôtels 322 jours par an et le but de son existence est d’atteindre le chiffre aberrant de 10 millions de miles. Et forcément, le célibataire volant finit par tomber au bar d’un hôtel sur la femme de sa vie : la même que lui, mais « avec un vagin » dit-elle. Cynique et libérée, on sent qu’elle a fait pleurer plus d’un marin (ou plus d’un steward) et M. Sans Attache succombe.
Realpolitik
Grâce, ou en dépit de ses qualités, et, Bingham s’en rendra compte tardivement, peut-être un peu malgré, la belle Alex est la porte d’entrée du célibataire vers la vraie vie (du moins celle qui ne se déroule pas dans les chambres d’hôtels ou à 10000 pieds d’altitude). La clé de cette porte, elle, sera la jeune Natalie, spécialiste des RH débutante, au cœur pas aussi dur qu’elle le voudrait, et à qui Bingham est chargé d’enseigner les ficelles du licenciement. Car face à la vacuité des profits irréels (symbolisée par la collection de Miles dont on ne fera rien, si ce n’est les avoir), juste en face, il y a la famille, les vrais gens (ceux qu’on licencie sans y penser) et les vraies valeurs qui vont avec (l’amour, la compassion). On pourrait donc s’attendre, comme ce serait le cas chez n’importe quel réalisateur de comédie américain, que, Bingham réveillé, tout finisse dans un déluge de bons sentiments où l’on se marie et l’on a beaucoup d’enfants dans un pavillon de banlieue sédentaire (et tant pis pour les Miles). Mais pas plus qu’il ne pouvait s’y résoudre dans Juno, ou le réel l’emportait, Reitman laisse son héros face au destin qu’il s’est choisi (on n’en dira pas plus) et à la réalité terre-à-terre de toute vie (même vécue dans les airs). C’est en ne se laissant pas happer par les habituelles tentations narratives que Reitman fait mouche à la manière d’un Capra nouveau genre, touché par la grâce amère de la realpolitik comme nouvelle politique des auteurs.
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