Avec quatre films, l’institut Lumière met à l’honneur la Corée du Sud et ses polars ultranoirs. Ou comment des réalisateurs surdoués ont mis à l’amende le cinéma occidental, en une décennie.
Nouvelle vague coréenne
Le cinéma sud-coréen a connu un essor considérable dans les années 1990, après des décennies de contrôle gouvernemental de la création cinématographique. Véritable mine d’or de cinéastes talentueux et ambitieux, la Corée du Sud est désormais incontournable dans les festivals de cinéma du monde entier. Du Grand Prix décerné à Old Boy de Park Chan-wook à Cannes en 2004 aux Lions d’argent (Locataires, 2004) et d’or (Pietà, 2012) de Kim Ki-duk à Venise, les cinéastes coréens emballent la cinémasphère mondiale, notamment française.
Le dynamisme du cinéma sud-coréen est tel qu’il est parvenu à infléchir l’hégémonie états-unienne en matière de thrillers, au point de connaître de plus en plus de remakes outre-Atlantique (Old Boy version Spike Lee devrait sortir en janvier et un Lady Vengeance avec Charlize Theron est actuellement dans les tuyaux).
Il faut dire que le champ d’action des cinéastes coréens paraît sans limite. La force et l’originalité de cette nouvelle vague reposent sur une fine connaissance de l’histoire du cinéma (notamment français et américain), une mise en scène au cordeau et le mélange des genres.
Noir c’est noir
Les quatre films proposés par l’institut Lumière en cette fin d’automne (Old Boy de Park Chan-wook, Memories of Murder de Bong Joon-ho, A Bittersweet Life de Kim Jee-woon et The Chaser de Na Hong-jin) montrent la face la plus noire du cinéma sud-coréen, mêlant thriller haletant, romance et drame psychologique.
Old Boy est le chef-d’œuvre incontestable du renouveau sud-coréen. Adapté d’un manga de Nobuaki Minegishi et Garon Tsuchiya, il raconte l’histoire d’un homme pourtant ordinaire séquestré pendant quinze ans, accusé d’avoir tué sa femme et qui, une fois libéré par son mystérieux geôlier, cherchera à comprendre qui et pourquoi. Le film est un bijou de mise en scène, de montage et d’interprétation (Choi Min-sik, l’homme au marteau, est absolument remarquable). Park Chan-wook y pratique ce fameux mélange des genres entre enquête captivante, scènes d’action extrêmement réalistes et gore qui font se cramponner le spectateur à son siège, perversion, histoire d’amour et poésie.
C’est dans une même expédition punitive que Kim Jee-woon embarque son personnage principal dans A Bittersweet Life. Apollon et factotum nettoyeur d’un chef de gang, Kim Sun-woo doit punir à mort la maîtresse de son patron si une infidélité est avérée. Face à la belle et jeune violoncelliste, le fidèle serviteur défaille et décide de taire la liaison. S’ensuit une escalade de violence et de tortures dont il sortira de manière improbable. Son bras vengeur cherchera les coupables dans une ultime scène en rouge et noir.
Le noir est encore trop pâle pour décrire le premier long-métrage de Na Hong-jin, The Chaser. Si son scénario est saturé d’éléments extérieurs perturbateurs, de clichés sur les serial killers et de rebondissements à n’en plus finir, le film brille par sa mise en scène dans un décor labyrinthique et par l’ambiguïté de son personnage principal, ancien flic reconverti en proxénète (oui !) qui ne va rien lâcher pour partir à la chasse au meurtrier et retrouver une de ses filles disparues.
Le film de Na Hong-jin présente d’ailleurs de nombreuses similitudes avec Memories of Murder, film policier sur les traces d’un serial killer, qui met à mal une police coréenne incompétente et violente (elle arrache les aveux d’innocents à coups de godasses). Au milieu de cette noirceur – c’est l’originalité du cinéma coréen – les réalisateurs ménagent des incursions comiques, voire burlesques. Elles sont nombreuses dans Memories of Murder, mais sans jamais tomber dans le mauvais goût. Le duo du jeune flic intelligent de Séoul et du flic grossier de campagne aux méthodes violentes et irrationnelles fonctionne autant dans le comique que dans le tragique, Bong Joon-ho signant là un film élégant, plus suggestif que ceux de ses collègues, aux sublimes plans de campagne tranchant avec la violence des meurtres.
Si leur esthétique paraît parfois léchée et leurs effets, visuels et musicaux, à vocation un peu lacrymale (pluie et larmes font bon ménage dans le polar coréen), les quatre longs-métrages présentés par l’institut Lumière montrent le génie de cette nouvelle vague, tant dans la narration que dans la mise en scène et la direction d’acteurs (rappelons que The Chaser est le premier long-métrage de Na Hong-jin), et figurent parmi les propositions cinématographiques les plus intéressantes de ces dernières années.
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The Chaser, de Na Hong-jin, 2009, 2h05, couleur. Avec Kim Yun-seok et Ha Jung-woo.
(Interdit aux – de 12 ans.)
Merc. 13 nov. à 16h45, jeudi 14 à 17h et samedi 16 à 20h30.
Old Boy, de Park Chan-wook, 2003, 2h. Avec Choi Min-sik, Yu Ji-tae et Kang Hye-jeong.
(Interdit aux – de 16 ans.)
Mardi 26 nov. à 21h (présenté par Thierry Frémaux), merc. 27 à 16h45, samedi 30 à 21h et mardi 3 déc. à 18h30.
A Bittersweet Life, de Kim Jee-woon 2005, 2h, couleur. Avec Hwang Jung-min et Jeong Yu-mi.
(Interdit aux – de 12 ans.)
Vend. 6 déc. à 21h, mardi 10 à 18h15, merc. 11 à 16h45 et samedi 14 à 18h45.
Memories of Murder, de Bong Joon-ho, 2003, 2h12, couleur. Avec Song Kang-ho et Kim Sang-kyung.
Mardi 17 déc. à 21h, merc. 18 à 16h30, vend. 20 à 21h et dimanche 22 à 18h30.
> à l’institut Lumière, 23 rue du Premier-Film, Lyon 8e.