Bill Morrison, célèbre pour ses collaborations avec Disney, les Simpson, Futurama ou encore le magazine Mad, est l’un des dessinateurs américains invités à la 14e édition de Lyon BD, du 7 au 9 juin. Entretien avec celui qui préside aussi l’association des auteurs américains et qui signe cette année la couverture du Bouchon déchaîné, le magazine officiel du festival, édité par Lyon Capitale.
Lyon Capitale : Comme directeur associé du NCS Fest, ce tout nouveau festival de BD porté par l’association des auteurs de comics américains, quel bilan faites-vous de sa première édition ?
Bill Morrison : Sur tous les plans, c’est un grand succès. Naturellement, il y a des ajustements à faire, des leçons à prendre, mais les retours ont été extrêmement positifs !
Vous vous êtes appuyés sur l’expérience de deux festivals européens, Lyon BD et le Lakes International Comic Art Festival en Grande-Bretagne. Qu’attendiez-vous de ce partenariat et comment le voyez-vous évoluer dans les prochaines années ?
Julie Tait du Lakes Festival et Mathieu Diez de Lyon BD, avec leurs équipes, nous ont apporté une expertise décisive. Ils sont venus aussi bien sûr avec une abondance d’auteurs talentueux européens qui ont permis d’établir le NCS inaugural comme un festival réellement international. Nous allons bien sûr travailler ensemble pour le faire grossir, mais nous espérons aussi apporter de la réciprocité et venir avec les membres les plus talentueux de notre association d’auteurs à Lyon BD et au Lakes. Je pense que le but, avant tout, c’est de développer la popularité de la BD et de l’animation en présentant à nos publics respectifs des auteurs et artistes qu’ils ne connaissent pas encore.
Vous êtes aussi le président de la National Cartoonists Society, la grande association d’auteurs américains, qui a notamment eu pour membre Walt Disney. Les auteurs français se plaignent d’une précarité croissante de leur statut, qu’en est-il des Américains ?
Je n’entends pas de plaintes sur la question de notre statut, je pense que la principale préoccupation des auteurs aux États-Unis, c’est la contraction continue de l’espace dédié au dessin de presse et aux comics dans les journaux, et la disparition continue des titres de presse papier en général. Mais les Américains ont tendance à être bons pour se réinventer et trouver de nouvelles manières d’atteindre leur public. Comme auteur de comics moi-même, je vois une grande partie de mon public abandonner les mensuels dédiés aux comics pour aller vers des BD en ligne ou des romans graphiques originaux. Je travaille actuellement à un roman graphique à partir de mon comics Roswell Little Green Man, avec l’idée qu’il rencontrera sans doute plus de succès dans un livre qu’en série pour des mensuels comics.
Vous avez cofondé Bongo Comics, qui a édité certaines de vos séries comme Les Simpson ou Futurama. Comment avez-vous commencé à travailler avec Matt Groening, le créateur des Simpson, et qu’avez-vous essayé d’apporter à ses personnages dans votre adaptation en comics ?
J’ai fait la connaissance de Matt Groening dans les années 1980, avant qu’il ne crée les Simpson, alors que j’étais illustrateur pour la publicité de l’industrie cinématographique. On a travaillé ensemble sur des affiches. Quand les Simpson sont devenus une série hebdomadaire, en 1990, j’ai été recruté pour dessiner les personnages pour le merchandising, des livres ou des calendriers. Matt avait gardé les droits de publication, pour pouvoir faire l’adaptation en comics de ses personnages sans interférence de la Fox. Au début, on a fait des livres comme The Simpsons Family Album ou Bart Simpson’s Guide to Life*, ou encore un calendrier et un magazine pour les fans (Simpsons Illustrated). C’est dans ce magazine que l’on a commencé à faire des BD. J’ai dessiné la première, ensuite je les ai aussi bien écrites que dessinées. Au début, il y avait une seule planche par magazine, puis de plus en plus à chaque numéro et au bout d’un an on a sorti un numéro spécial autour de cette BD, Simpsons Comics and Stories, baptisé ainsi en hommage au Walt Disney Comics and Stories. Son succès a encouragé Matt à créer Bongo Comics. Notre objectif était de faire des comics aussi proches que possible de la série télé, donc on n’a intentionnellement pas pris de libertés avec les personnages. Mais on savait aussi que certaines choses pouvaient fonctionner en animation et pas en comics. Donc on a créé des histoires qui conservaient les personnages et l’essence de la série, en jouant avec les ressorts propres au récit BD.
À partir de 1999, vous avez travaillé comme directeur artistique sur une autre série de Matt Groening, Futurama. A-t-on autant de libertés lorsque l’on travaille pour la télé ?
Travailler sur une série animée à succès pour la télévision est fantastique, parce que votre travail est vu et aimé par des millions de gens dans le monde. Mais je pense que faire des comics est plus épanouissant d’un point de vue créatif. Le travail est vu par moins de monde, mais il y a aussi beaucoup moins de gens impliqués dans la création, ce qui veut dire que vous n’avez pas à faire autant de compromis. La plupart des comics sont faits par une poignée de gens ; si l’auteur et le dessinateur sont deux personnes différentes, les discussions n’ont lieu qu’entre eux deux et leur éditeur. Dans l’autoédition, vous pouvez littéralement faire ce que vous voulez, sans aucun compromis sur votre manière de voir les choses. C’est donc un débat liberté versus exposition. J’adore travailler pour la télé, mais je préfère les comics.
Avec encore plus de plaisir lorsqu’il s’agit de vos propres créations, comme la série Roswell Little Green Man ?
Pour Roswell Little Green Man et les autres séries que j’ai pu créer, j’ai eu à choisir la personnalité des personnages, leur voix, ce qu’ils peuvent et ce qu’ils ne peuvent pas dire… Alors que lorsque l’on travaille sur des personnages existants il faut suivre ce qui a été défini par l’auteur d’origine. Quand j’écris une histoire avec Homer, par exemple, je dois penser à sa manière de se comporter dans la série. Si je fais quelque chose qui ne colle pas avec la série, les fans vont trouver qu’il y a un problème.
Jusqu’à l’année dernière, vous étiez aussi rédacteur en chef de Mad Magazine… Aujourd’hui, vous pouvez nous le dire : le symbole phallique dans l’affiche de La Petite Sirène, vous avez toujours dit que c’était un accident, mais c’était un hommage à Fluide glacial, le magazine français qui a été inspiré par Mad (avec beaucoup plus de pénis…), n’est-ce pas ?
Ah, ah ! Si c’était vraiment un hommage à Fluide glacial, il y aurait eu beaucoup plus qu’un pénis dans l’affiche de La Petite Sirène ! (Rires.)