Après s'être vu décerner hier soir le prix Lumière pour son engagement et sa remarquable carrière, l'actrice et réalisatrice américaine Jane Fonda a de nouveau fait sensation à Lyon ce samedi matin.
À son époque, il était quand même rare de voir une actrice engagée...
- "Non. Il y avait des générations de femmes, des héroïnes".
- Des actrices ?
Silence. "Je ne me souviens pas, je suis trop vieille". Les éclats de rire résonnent dans le hangar du village du festival Lumière. Chacun pousse sur la pointe de ses pieds pour apercevoir celle qui s'exprime dans un français impeccable et devant leurs yeux au micro de France Inter : Jane Fonda. Interrogée sur le climat social qui règne aux Etats-Unis, l'actrice et la réalisatrice répond sans détour. "Le problème est que pendant les années Obama, beaucoup ont pensé qu'il n'y avait plus de problèmes de race et de classe et que les Etats-Unis pouvaient être une vraie démocratie". Là encore, les rires parcourent la salle. "Mais on a oublié de parler aux ouvriers, qui n'ont plus de syndicats et même plus d'identité", ajoute la sublime octogénaire. "En France aussi !", lance un homme dans la salle sous les applaudissements.
Une transition toute trouvée pour évoquer le monument cinématographique de 1940 dans lequel son père, Henry Fonda, interprète le premier rôle et qui sera diffusé ce dimanche en clôture du festival. "Les Raisins de la colère", adaptation oscarisée de John Ford du roman au prix Pulitzer de John Steinbeck, est une plongée dans la misère subie par une famille américaine pendant la grande dépression. Face à la crise économique, de nombreux américains ont été chassés de leurs terres lorsque les banques prennent possession de leurs biens. "Hollywood pourrait-il produire un pareil film de nos jours ?" s'inquiète l'un des intervieweurs. Jane Fonda répond par l'affirmative, citant en exemple BlacKkKlansman récemment réalisé par Spike Lee.
"Moi, je faisais les manifestations assez dangereuses de temps en temps, mon père, il votait"
Dès la fin des années 60, les rôles de Jane Fonda ne font souvent qu'un avec son engagement. En 1979, elle est nommée à l'oscar de la meilleure actrice pour "Le Syndrome chinois" sur les risques et dangers de l'énergie nucléaire. "Pense-t-elle que les films peuvent changer le monde ?" "Le monde je ne sais pas, mais les hommes, oui, répond l'une des légendes du cinéma américain, estimant qu'avoir parlé du sort des vétérans du Vietnam avait pu faire changer d'avis certains. Un exemple osé, l'actrice ayant été régulièrement au cœur d'attaques de la part ces derniers, affublé du surnom "Hanoï Jane" depuis ses voyages au Nord du Vietnam, ils lui reprochent sa proximité avec le communisme.
"Déjà, les actualités devenaient de plus en plus du divertissement. Les femmes, surtout, étaient obligées de se reporter sur des choses superficielles", déplore celle qui raconte n'en être pas revenue la première fois qu'un réalisateur lui demandait son avis. "C'était révolutionnaire pour moi, même mon mari, Vladim, ne m'avait jamais parlé comme ça". Son premier oscar, Jane Fonda le décroche en 1971 en interprétant le rôle d'une prostituée dans Klute, de Alan J. Pakula. "A-t-elle improvisé ce rôle, s'est-elle inspirée de son vécu ?", ose une journaliste. "Ben non, je ne suis pas pute", répond d'emblée l'actrice, provoquant une nouvelle scène d'hilarité dans la salle. Pas décontenancée pour un sou, elle raconte une anecdote sur l'une des scènes finales du film qui met en scène un rendez-vous chez le psychiatre. "Je savais pourquoi une femme vendait son corps pour de l'argent et le psychiatre devait être un homme. J'ai dit que non : impossible qu'elle se rende si vulnérable face à un homme, le psychiatre doit être une femme".
Pendant le festival, plusieurs films ont honoré la carrière de son père, Henry Fonda, et les intervieweurs se demandent si à eux deux, ils ne représentent pas tous les Etats-Unis démocrates du XXe siècle. Un long silence suit la question. "La démocratie américaine, c'est très compliqué. Il y a plusieurs façades et avec mon père nous n'étions pas la même génération. Moi, je faisais les manifestations assez dangereuses de temps en temps, mon père, il votait", la salle est de nouveau enchantée et hilare. "Il avait vécu le Maccarthysme, il avait peur qu'il m'arrive quelque chose". Sous un tonnerre d’applaudissements, Jane Fonda quitte le hangar. À l'extérieur, bras dessous avec le directeur du Festival, Thierry Fremaux, elle s'échappe un moment du feu des projecteurs pour continuer à profiter du dernier week-end d'un festival largement dédié à son oeuvre.
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