Après une mise en scène “choc” de Froid de Lars Norén qui a suscité de vifs débats la saison dernière, Simon Delétang, le co-directeur du théâtre des Ateliers, s’attaque au mythique dramaturge et metteur en scène allemand Heiner Müller dans un portrait subjectif intitulé For ever Müller. Rencontre avec un metteur en scène passionné.
Lyon Capitale : Novembre 2009, on fête les 20 ans de la chute du Mur de Berlin. Votre portrait de Müller participe-t-il à cette commémoration et cela à travers un artiste presque “résistant” puisqu’il n’a jamais cherché à fuir l’Allemagne de l’Est ?
Simon Delétang : Oui c’était volontaire que cela se fasse en 2009. Müller je l’ai découvert à 15 ans et depuis je suis fasciné par Hamlet Machine mais je ne me vois pas aujourd’hui le mettre en scène, je me sens encore trop petit… Alors ça peut sembler paradoxal de s’attaquer à autant de textes de Müller mais cela me permet de faire ma sauce. Je voyais Heiner Müller comme une sorte d’idéaliste, et puis en creusant le personnage j’ai constaté qu’il s’est très bien débrouillé avec le régime puisqu’il pouvait voyager. Il restait à l’Est car il trouvait que la dictature était plus inspirante que la démocratie, d’ailleurs jusqu’au dernier moment il ne croyait pas à la réunification… C’est aussi un spectacle sur l’engagement, sur la place d’un artiste dans le monde.
Comment rendre hommage à un homme si double et complexe ? Quelle forme va prendre le spectacle ?
Nous sommes dans le portrait subjectif du dramaturge et de son œuvre à travers ses poèmes, ses récits et aussi ses entretiens. L’idée c’est de ressusciter Müller. On commence par la chute du Mur de Berlin qui a été un traumatisme intime pour lui, il a cessé d’écrire des pièces et a été atteint par un cancer qui l’emporta quelques années plus tard.
On a souvent dit de Heiner Müller qu’il était le dramaturge des déchirures de ce siècle, vous en tant que metteur en scène vous semblez très attiré par des problématiques sombres. Vous reconnaissez-vous dans l’audace d’Heiner Müller ? Est-ce que pour vous il est important que vos spectacles soient choquants où irrévérencieux ?
Moi le choc je ne le recherche pas, ce n’est pas une donnée de départ sauf lorsque j’ai monté Woyzeck. Maintenant je suis dans un certain rapport du spectacle au spectateur qui serait de l’ordre de la frontalité. L’irrévérence passe par des effets de mise en scène mais pas dans le fond. Ce qui est sûr c’est que Heiner Müller appartient à une tradition théâtrale qui me fascine, je ne me sens pas attiré par le théâtre en France. J’ai toujours été séduit par la brutalité que pouvaient contenir certaines pièces. Mais je suis le premier sensible à la provocation de mes propres spectacles. Je ne suis pas une machine qui chercherait à faire du mal aux autres sans que moi ça ne m’atteigne.
Pour Froid [ndlr : un jeune Coréen est battu à mort par trois néonazis], on vous a souvent reproché la beauté esthétique de votre mise en scène avec le décor, les jeux de lumière, la musique d’Arvo Pärt. Avez-vous subi des pressions pour For ever Müller ? Y-a-t-il des choses que vous avez renoncé à aborder ?
Spontanément on s’imagine que Froid se déroule dans un squat en ville avec des bières et des chaises cassées comme le dit d’ailleurs Lars Norén dans les didascalies. J’avais déplacé l’action en pleine nature et mis cette musique pour apporter de la respiration à des scènes insoutenables et cette beauté-là m’a beaucoup été reprochée alors qu’elle ne correspondait pas à une esthétisation de la violence. Les gens de théâtre m’ont aussi souvent critiqué car pour eux, des spectacles comme Froid ne servent à rien. Ils partent du principe que les personnes qui vont au théâtre sont de gauche et qu’elles savent déjà tout ça. Sauf que nous aux Ateliers on a eu des soirées très animées car on avait fait le pari de convier des jeunes qui n’avaient pas l’habitude d’aller au théâtre. Mais je dois avouer que moi maintenant je m’autocensure un peu. Je dois l’admettre. J’ai une responsabilité vis-à-vis de la fréquentation de ce lieu, je ne peux pas non plus faire n’importe quoi. Mais cela est bénéfique pour mon travail…
Est-on vraiment libre aujourd’hui dans la création théâtrale ? N’y-a-t-il pas des tabous qui demeurent sur scène ?
Je pense que malheureusement les théâtres sont souvent frileux et se placent comme les garants d’une morale. Mais le public a envie d’être bousculé, de réfléchir. Les gens ne sont pas des moutons. “La liberté faut la prendre” c’est une phrase de Froid. J’ai la chance aux Ateliers de ne pas subir ces pressions. J’avoue que les jeunes metteurs en scène qui montent du Marivaux pour parler du monde d’aujourd’hui ou qui affirment que Guitry c’est moderne et formidable, je n’y crois pas et j’ai du mal avec ça. C’est une sorte de renoncement… Comment si jeune peut-on déjà faire des spectacles si vieux ?
For ever Müller. Du 18 novembre au 4 décembre au théâtre des Ateliers, Lyon 2è. 04 78 37 46 30. www.theatrelesateliers-lyon.com
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