Fascinant et inédit cas de clonage vocal du plus populaire chanteur français des cinquante dernières années, l’énigme Jean-Baptiste Guegan vient se produire à Lyon. Retour sur la naissance d’un phénomène paranormal.
À l’heure où sa famille n’en finit plus de s’écharper par avocats interposés pour déterminer qui va rafler la fortune, la garde du droit moral d’une œuvre lucrative et probablement aussi les dettes, bref qui sont les héritiers du mythe inhumé comme un chef d’État un samedi après-midi de décembre, il semble que le véritable légataire du grand Jojo soit tombé du ciel. Nous sommes un peu moins d’un an après le “drame” et les fans continuent de se noyer dans leur propres larmes, consternés par le spectacle judiciaro-familial que se livrent David Hallyday et Laura Smet d’un côté et la légitime du rockeur, Læticia, que la partie la plus jojophile de France appelle affectueusement “la blonde”, “la Boudou” ou “la sorcière”.
Premier frisson
Un soir d’octobre, dans un grand cirque cathodique balançant entre casting géant et foire aux monstres, voilà qu’apparaît un jeune type plutôt beau gosse, visage doux, grands yeux bleus et veste noire satinée, un peu lisse, un peu gauche, intimidé. Il est breton, chanteur amateur et fan de Johnny depuis l’âge de 9 ans. On voit le truc venir : il va nous massacrer Allumer le feu et puis c’est marre, le jury va le remercier d’être venu, non sans quelque moquerie d’usage, et le type retrouvera sa vie de cariste ou d’ingénieur, chantant un samedi sur deux dans quelque foire à la galette-saucisse. Mais, à peine a-t-il dit “Bonjour…” que quelque chose dans sa voix lance un premier frisson. On connaît cette manière de mâcher les mots, de les rouler en fond de gorge, ce léger chuintement. Puis il balance L’Envie et frappe la sensation malaisante d’assister à une séance de spiritisme ou d’exorcisme, où d’un corps sort une voix qui ne lui appartient pas.
Comme une apparition
Le jury, le public, le téléspectateur – amateur de Johnny, contempteur absolu ou indifférent –, tous sont pareillement saisis, changés en statues de sel. Certains laissent couler des larmes, comme en proie à une apparition divine, la France des talents tombe à genoux. Ce type-là, qui dit s’appeler Jean-Baptiste, ne chante pas comme Johnny, ne l’imite pas à la perfection comme peuvent le faire certains. Non, ce type-là a la voix de Johnny. Quand il chante, c’est Johnny qui ventriloque à travers lui, il est pour ainsi dire possédé par celui dont il possède la voix. Voilà ce qui mène le jeune homme à la victoire : cette impression simplement surnaturelle, ce drôle de trouble. Au fond, dans l’histoire des dons injectés par Mère Nature, y a-t-il plus inutile que de naître avec la capacité de chanter comme Johnny quand on n’est pas Johnny ? Sauf que… À l’heure où les fans n’en finissent plus de se consoler en tripotant des reliques ou en acclamant quelque vague sosie peroxydé au fond d’une salle polyvalente, Guegan est comme un cadeau.
Puisque c’est écrit
Les plateaux télé se l’arrachent, les animateurs sont au spectacle, toujours on lui demande d’en pousser une, histoire de vérifier qu’il n’y a pas un truc… et non, il n’y en a pas, alors on entend les mâchoires tomber au sol et on bafouille l’éternel : “Je ferme les yeux… c’est Johnny !” Les marchands de nostalgie bien sûr sautent sur l’inespérée poule aux œufs d’or. Une tournée est montée, “La voix de Johnny”, qui devient “La voie de Johnny”. Puis vient l’album. Pas né de la dernière pluie, Guegan – fort bien conseillé et soutenu par Michel Mallory et Pierre Billon, antiques frères d’armes du grand Jojo – enregistre à Nashville des titres inédits, dont certains écrits par Mallory pour un album du taulier qui ne verra jamais le jour. Son titre, hautement symbolique : Puisque c’est écrit. Une première semaine en tête des ventes, le mois suivant en platine. La bl… la Boud… la sorc…, Laeticia s’étrangle et ferait bien interdire la chose, mais celle-ci est juridiquement inattaquable. Guegan n’usurpe aucun nom, n’exploite pas indûment l’image de Johnny, ne cherche pas à lui ressembler par quelque artifice capillaire. Il chante du rock’n’roll et il a la voix de Johnny. Que pourrait la justice face à l’irrationnel ?