Jean-Bernard Pouy : "Le roman policier surveille les autres romans"

Du moins pour le roman noir, dont l'objectif (à peine caché) est d'être un roman réaliste de critique sociale. Quant au roman policier, lui aussi suit le mouvement. Le Monde devient policier, tout est sous surveillance et les lois obturent tout espace. Ainsi, ce roman pratique, sans s'en rendre compte vraiment, une sorte de lente coercition sur les autres activités romancières. On peut dire que le roman policier surveille les autres romans...

Quais du polar élargit au maximum le champ du polar : on y retrouve des figures du roman noir et du polar, des hommages aux grand maîtres, mais aussi des auteurs de thriller populaire comme JC Grangé ou Douglas Kennedy, ce mélange est-il salutaire pour le polar ?
Le mot " polar " ne veut plus dire grand chose. C'est une facilité pour parler de quatre ou cinq genres désormais différents (le roman d'énigme, le roman policier, le thriller, le roman noir...). Le roman noir étant, lui, transversal (il peut contaminer les autres genres), c'est un peu normal qu'il intéresse d'autres expressions littéraires, notamment, depuis longtemps, ce qu'on nomme encore la littérature populaire et ce qu'on qualifie toujours de littérature générale. Mais on se défend le mieux possible ; on en a l'habitude.
Le thriller a souvent été pour les spécialistes le parent pauvre des littératures policières, il est pourtant clairement plébiscité par le public au travers d'auteurs comme Grangé ou d'autres. Comment expliquer cela ?
Le thriller n'est pas un parent pauvre. Thomas de Quincey (début 19ème) avait déjà parlé de serial killers. Le thriller (ou roman d'angoisse, ou roman criminel) s'occupe généralement de psycho-pathologie, et présente, de l'intérieur, le criminel, le Mal. Peut-être que les temps récents (obsession de la psychanalyse et retour de la " psychologie " dans le grand public) ont fait le lit de cette littérature. Les lecteurs veulent toujours trembler, frémir. Et sans doute vivre, ainsi, une sorte de catharsis.

Le thriller constitue-t-il un reflet des littératures policières susceptibles de renouveler le genre ? Ou au contraire jette-t-elle un voile de confusion sur ce qu'est véritablement le polar ?
Le thriller a maintenu pendant dix ans la pression, a ramassé de nouveaux lecteurs, donc a favorisé la survie du polar. Mais le crime, le tueur, la violence, le sadisme, la folie ne sont que des aperçus d'une crise totale (et là, morale). Cela dit, chacun fait ce qu'il veut et s'intègre dans l'espace qu'il aime. Personnellement, je ne m'occupe pas de roman policier et de thriller. Je n'aime ni les policiers ni les tueurs, je ne peux pas, même par jeu, tenter de me mettre à leur place et ainsi, d'une certaine façon, leur servir la soupe.

Que pensez-vous de l'ouverture du roman noir et du polar vers la science-fiction, le fantastique, l'ésotérisme ?
La SF m'intéresse. Ses thèmes parlent toujours du contemporain et essaient de deviner de quoi sera fait le monde dans des temps futurs, que ça soit l'année prochaine ou dans les siècles à venir. Une grande partie de la SF est de la politique-fiction.

Les séries télévisées policières (The Shield, les Experts...) sont de plus en plus populaires. Pensez-vous qu'elles suscitent par ricochet un engouement pour la littérature policière ?
Au cinéma et à la télé, le polar (généralement les récits policiers) ne sont pas considérés comme des sous-genres (ce qui est encore le cas en littérature). Ils ont été toujours populaires. Mais leur nombre et leur importance n'ont pas de réel effet sur le polar. C'est le contraire. Cela fait plus d'un siècle que l'audio-visuel est nourri par la littérature noire et policière.

Devenu divertissement familial, le polar est-il encore une contre-culture à dimension politique ?
C'est le cas pour certains auteurs, pas pour d'autres. Comme d'habitude, ce qui fait la différence, c'est le style.

Cliquez ici pour consulter notre dossier spécial Quais du Polar lien

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