Kader Attou a grandi dans la banlieue de Lyon, à Saint-Priest et a été nommé à 34 ans par la ministre de la culture, Christine Albanel, à la tête du CCN de la Rochelle pour succéder à Régine Chopinot. Cette nomination sonne comme la consécration de la danse Hip-Hop " made in Lyon " et de cette génération surdouée de beurs lyonnais nés dans les années soixante-dix qui ont donné au Hip-Hop la respectabilité de l'art chorégraphique. La nomination de Kader Attou est une " véritable reconnaissance institutionnelle ", selon Mourad Merzouki, le talentueux chorégraphe de la compagnie Käfig qui doit elle aussi intégrer un véritable lieu dédié, à Bron. " On a travaillé de manière vagabonde depuis des années, on a pris beaucoup de risques. Le fait de poser nos bagages, c'est une nouvelle étape pour nous ", continue Mourad Merzouki. Lyon Capitale vous propose de relire un portrait de Kader Attou réalisé à la fin du mois d'août à quelques jours de sa nomination à la tête du CCN de la Rochelle.
Sl. Ma.
Photo: Kader Attou - crédit: Yves Petit
Attou pour plaire
Un retour en enfance tout en poésie et en humour avec Kader Attou et la compagnie Accrorap.
Pour suivre depuis plusieurs années le parcours de Kader Attou, originaire de St-Priest, on peut dire qu'il est actuellement celui qui mène en France le travail le plus intelligent en matière d'écriture chorégraphique, croisant habilement le hip-hop avec d'autres influences artistiques, sachant aussi s'entourer de danseurs à forte personnalité. Il dirige la compagnie Accrorap avec l'envie d'inventer sans cesse au-delà des étiquettes, une danse riche et humaine. Un pari déjà réussi en 2000 avec Anhoka, une belle pièce qui provoquait la rencontre entre danse indienne et hip-hop, démontrant l'existence d'une gestuelle commune et d'un dialogue possible. D'autres pièces ont marqué ce parcours pétri de nombreux voyages, en Palestine, au Brésil, en Algérie, avec notamment une magnifique pièce Douar, conçue dans le cadre de l'Année de l'Algérie en France. Le chorégraphe nous parlait alors de l'exil, de l'ennui, des disparus dans cette traversée entre la France et l'Algérie. L'attente, les ports et le hip-hop pour dire avec légèreté, la volonté de fuir, de rêver ou de respirer, avec une fin en point d'interrogation sur l'avenir, où qu'il soit. Un travail remarquable et bouleversant, où l'écriture maîtrisée de la danse révélait un vrai chorégraphe, capable de nous donner à voir le danseur et le groupe, des corps superbes, métaphores de mots et d'émotions.
Hip-hop, accordéon et divan trampoline
Avec Petites histoires.com présenté à la Biennale, il retourne vers une légèreté qui le mène à l'enfance, aux souvenirs avoués dénouant sans le savoir ceux toujours enfouis. La scénographie est sobre. Un fil de linge tendu en fond de scène qui lui permet, en y insérant des éléments, de jongler avec finesse sur les différentes atmosphères de la pièce. Devant ce fil, Kader joue avec le petit vélo interdit, son père à côté est si grand. Enfant, il découvre que ce père ne dessine pas 3 huits au sol, dans ce grand bâtiment, mais qu'il les fait. Il comprendra ses absences en même temps que Les temps modernes de Chaplin. Mais le père est là, patriarche assis sur ce divan en velours, que le chorégraphe transforme en scène de hip-hop pour en extraire les jeux, l'ennui et le bonheur de la famille nombreuse... entassée. Subtilement, le hip-hop intègre l'énergie du cirque ou l'inverse. Le divan devient trampoline à partir duquel les corps voltigent ou se projettent dans l'espace avec allégresse. Le spectacle est construit sur des saynètes savamment équilibrées au gré d'émotions variées et qui alternent entre les soli et le groupe. Un solo/solitude en hip-hop sur Jean-Sébastien Bach, des corps gris suspendus comme des pièces identiques et qui roulent sur le fil, corps de danseurs qui tentent de se libérer de ces costumes froids d'ouvriers. Un drôle de personnage suranné, avec casquette, qui danse du hip-hop sur fond d'accordéon. Cet autre solo de Brahim Bouchelagem - immense danseur - qui danse avec une plume flottant en l'air, jusqu'à devenir plume lui-même. Tout l'art de Kader Attou est là. Dans les détournements qu'il fait du langage hip-hop pour aller vers l'humour et la poésie. Avec cette manière délicate qu'il a de poser la danse sur scène et à l'endroit juste, vers nous et sans démesure.
Martine Pullara