Enième péplum parti à la recherche du mythique régiment romain, L'Aigle de la 9e légion surprend par son réalisme, ses résonances contemporaines et le choix de ses acteurs. Dont un époustouflant Tahar Rahim.
Depuis que Russell Crowe a relancé la mode de la jupette et du glaive il y a une dizaine d'années avec Gladiator, deux thèmes semblent fasciner les cinéastes amateurs de péplum. Le premier est cette frontière mythique de l'Empire Romain qu'a constitué le mur d'Hadrien : limite septentrionale de l'Empire au-delà duquel les barbares entretenaient les pires fantasmes des légionnaires (à l'époque, dans les esprits, le « danger » venait du Nord). Un thème que Neil Marshall poussa à bout et dans tous les sens avec son super-nanar Doomsday et sa version futuriste du mur, au-delà duquel vivaient « contaminés », punks post-apocalyptiques et... chevaliers. Le second est la 9e légion, régiment mythique de Rome dont on pense (à vrai dire on n'en sait pas grand chose) qu'elle a peut-être disparu en s'aventurant au-delà du mur d'Hadrien, décimée par les Pictes, ancêtres rebelles des Ecossais, aux alentours de 117. A moins que ces légionnaires n'aient simplement déserté, fatigués des campagnes au bout du monde pour trois arpents de gazon en pays venteux. Après Centurion de Neil Marshall, encore lui, et La Dernière Légion de Doug Lefter, c'est l'Ecossais Kevin McDonald qui s'attache à revisiter le mythe de la 9e. Mais pourquoi cet intérêt ? Déjà parce que dans chacun des films, la 9e symbolise la déliquescence d'un Empire devenu trop (comprendre le monde occidental d'aujourd'hui) et la paranoïa d'une menace extérieure moins réelle que fantasmée venu de l'au-delà des frontières.
Absurdité du patriotisme
La constante de ces films, qui réapparaît dans L'Aigle de la 9e, c'est cette trouille irrationnelle d'un empire face à une poignée de tribus. A partir d'un roman écrit il y a 50 ans, McDonald (Le Dernier roi d'Ecosse) réalise une parabole très sèche sur ces soldats occidentaux envoyé en Afghanistan ou en Irak, et sur l'absurdité du patriotisme. Ici, un courageux centurion, Marcus Aquila (Channing Tatum) hanté par le souvenir de son père, se porte volontaire pour aller récupérer l'Aigle de la 9e légion, symbole du bataillon perdu, égaré lui-même quelque part au-delà du mur d'Hadrien. Tout ça pour un piaf en métal ? C'est qu'il en va de l'honneur de l'Empire. Accompagné d'Esca, son esclave (Jamie Bell), Aquila va devoir traverser des terres inconnues, hostiles et quasi oniriques pour y affronter les barbares. Chez McDonald ceux-ci figurent d'ailleurs un mélange de tout ce qui pourrait matérialiser une ancestrale culpabilité occidentale : mélange d'indiens du Nouveau Monde (fantômes de la conquête de l'Ouest), de djihadistes des montagnes (fantômes de la conquête de l'Est) et de résidus d'apocalypse couverts de poussière nucléaire (fantômes d'Hiroshima?).
La tribu des Phoques
De fait, le film n'est pas à proprement parler un péplum et lorgne davantage vers l'atmosphère d'un film de vikings âpre et réaliste (on pense au 13e guerrier ou au terrible Guerrier Silencieux) voire, et c'est plus surprenant, vers le buddy movie. C'est qu'il se construit une véritable relation entre Aquila et son esclave que tout oppose (étonnante et ironique punchline finale qu'on ne dévoilera pas). Channing Tatum n'étant guère plus qu'une boule de muscles, il figure un bon légionnaire animé par le seul sens du devoir. Et c'est le petit Jamie Bell (ex-Billy Elliott et futur Tintin) qui porte le film sur ses épaules. Lui et le Prince de la tribu des Phoques (si, si), joué par l'acteur français Tahar Rahim (césarisé pour Un Prophète) absolument méconnaissable derrière ses trois couches d'argile et son sabir gaëlique. Au-delà du talent de Rahim, le choix d'un « arabe » pour incarner le chef de ces rebelles des montagnes n'est sans doute pas innocent. On ne peut s'empêcher d'y voir une manière de renforcer la résonance politique de ce film antique dans notre présent.