L'envolée sauvage d'Emily Loizeau

Un opus dont la sauvagerie douce-amère tient plus du registre folk-pop acoustique d'Emiliana Torrini que de cette nouvelle scène française un peu terne.

Chantant comme personne les rêveries douloureuses (Songes) et autres comptines faussement puériles (Sister), Emily Loizeau fouille les sentiments, les capture et les associe à la nature : sa marque de fabrique (Ma Maison, Pays Sauvage). Des mélodies douces mais incisives à la Black Box Recorder (Coconut Madam), un son blues voire soul, des arrangements musicaux déroutants faisant penser à ceux d'Andrew Bird qu'elle admire (In Our Dreams), cette pianiste de formation s'essaie à toutes les expériences, et avec talent.

Dans l'album, Emilie n'en oublie pas pour autant sa première lubie : la comptine imagée. Après Voilà Pourquoi, titre du premier album dans laquelle la chanteuse explique pourquoi les poissons-chats ne miaulent pas, Emilie s'attaque au mythe de la femme à barbe, avec ses copines Ruiz, Cherhal et Morato, et à la fable de la Princesse et du Crapaud qu'elle paraphrase avec malice, avec l'une de ses idoles, Thomas Fersen.

Si l'artiste surprend par ses choix musicaux toujours différents (Dernière Pluie, volontairement grotesque et irritant) sur scène, c'est son goût appuyé pour la folk qui transperce. D'une voix mi-mutine, mi-écorchée, Emily Loizeau fascine, pareil à Cat Power en pleine échappée artistique. Moins ingénue, Emilie ajoute sur scène, une profondeur mêlée de rage à ses textes souvent imagés. Un tambourin à la main, le pied en perpétuel battement, le piano à proximité, et une envie de bousculer, de " crier une musique viscérale ".
Après cet exercice quasiment animal, Emily Loizeau s'est livrée à Lyon Capitale.
Morceaux choisis.

Lyon Capitale : Votre dernier album, Pays Sauvage, est sorti début février. Vous le qualifiez de disque hippie, pourquoi ?
Emily Loizeau : Le mot a été véhiculé par les médias mais ce disque n'est pas une sorte de concept hippie-chic. Je l'ai enregistré en Ardèche, dans une maison perdue dans les montagnes. Son aspect hippie n'était pas quelque chose de prémédité mais c'est ce qui ressort de l'esprit communautaire et live de l'enregistrement. Les chansons ont été faites en une fois. Le perfectionnisme ne m'intéresse pas, je voulais toucher quelque chose, émouvoir, énerver même. Je voulais faire un disque, les pieds dans la boue, sous l'orage, dans la montagne, près des animaux sauvages, aboutir à quelque chose de vrai.

On vous compare à Amélie-Les-Crayons mais finalement, ce côté bohème nous fait penser à Janis Joplin...
Je suis une fille des années 70, ma mère était une artiste anglaise, mon père, un militant français 68. Mon oncle tenait des roulottes au Canada et j'ai suivi ses voyages. J'ai du sang forain et bohème, ce n'est pas un concept inventé pour cet album, c'est comme ça que je suis réellement. Mes influences sont uniquement folk, j'ai grandi en écoutant Bob Dylan grâce à mon père, Velvet Underground, Tom Waits, les Stones. Ils m'ont beaucoup inspiré pour cet album. Bruce Springsteen, aussi. Son album, The Seeger Sessions, est une célébration, il réunit tout ce qu'il a nourri musicalement. J'ai voulu faire comme son album : parler de racines, de transmission. Me laver de tout ce qui me faisait mal.

Par ses textes, Pays Sauvage semble être la suite de l'Autre Bout du Monde en tant que chanson, en tant qu'album, c'est une volonté de continuité de votre part ?
Dans l'Autre Bout du Monde, je me suis amusée à cartographier un lieu imaginaire dans lequel mon père serait toujours vivant. Cette chanson parle du deuil à faire, du déni dont j'ai souffert. Pays Sauvage est une réponse à cela : " te souviens-tu du pays des oiseaux ? ". Le souvenir disparaît, le rêve ne se fait plus, le deuil est fait et la vie reprend le dessus. Le texte est très doux mais il y a une vraie violence derrière, c'est un rapport à la musique moins lisse, plus intuitif et enraciné.

Vous avez collaboré avec de nombreux artistes sur cet album, Moriarty, Thomas Fersen, Olivia Ruiz, Jeanne Cheral. C'était quelque chose qui vous manquiez sur votre premier opus ? Comment le mélange des genres s'est déroulé ?
Les collaborations se sont faites simplement, on voulait tous jouer ensemble dans un esprit live et détendu. Les Moriarty se sont plongé dans les morceaux, leur musicalité sort de leurs pores, j'ai été impressionnée. Il y a eu beaucoup d'échanges et on a finalement constaté qu'on se ressemblait beaucoup.
Pour La Femme à Barbe (sur laquelle chantent en choeur Nina Morato, Jeanne Cherhal et Olivia Ruiz, NDLR), la collaboration a été très émouvante. C'est une chanson très agressive qui donne envie de sauter sur le lit, j'ai été étonnée de voir que Jeanne a été autant Jeanne, qu'Olivia a été autant Olivia, que Nina a été autant Nina. Cette femme à barbe est devenue une femme multiple, on a réussi à former ensemble une petite entité, le résultat m'a donné les larmes aux yeux.
Vos textes sont souvent imaginaires et imagés, qu'est-ce qui vous inspire ?
Je m'inspire beaucoup de la littérature, des contes enfantins, des nouvelles pour enfants. J'aime le côté absurde et cruel de cette poésie. Et je m'en sers avec une fausse naïveté, cela m'amène à toucher des choses, l'air de rien.

Pays Sauvage (Polydor), Emily Loizeau, 2009
https://www.emilyloizeau.net/

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