La Friche RVI obtient un moratoire, mais pas de solution

Dimanche 31 juillet, les 400 occupants de la Friche RVI devaient quitter les lieux pour rendre l'ancienne usine à la Ville. S'ils n'ont toujours pas de solution de rechange à la "trop petite" usine Lépine qui doit devenir leur nouveau local, les frichards ont réussi à garder leur local jusqu'à mi-septembre. Alors que la mairie de Pierre Bénite était prête à accueillir une partie des artistes, le Grand Lyon refuse, tandis que sur l'avenue Lacassagne, certains riverains sont exaspérés par leur présence.

Ils ont gagné un répit, mais pas la « guerre ». Censés quitter les lieux dimanche 31 juillet prochain, les frichards pourront rester jusqu'au 15 septembre 2010 dans leur sanctuaire. Céline Eyquem, membre du collectif, confirme que "le moratoire demandé par le SYNAVI (syndicat national des arts vivants) a été accepté : nous avons reçu une lettre datée du 21 juillet qui disait que la Ville de Lyon a obtenu toutes les garanties du Grand Lyon pour que l'on puisse rester dans les lieux jusqu'au 15 septembre". Elle confirme également que jusqu'ici, la Ville n'a pas fait d'autre offre, et semble même faire la sourde oreille à une éventuelle prolongation des négociations : "Aucune lettre n'a été reçue pour nous proposer d'autres lieux, et aucun autre rendez-vous n'a été proposé, alors que nous avons clairement annoncé notre désir de discuter et de rencontrer les interlocuteurs nommés par le Grand Lyon, la Ville et la SEPR. Nous sommes dans le flou."

Divisions chez les riverains

Ce moratoire intervient alors que la pression de certains riverains pour les voir partir devient de plus en plus forte. A propos du soutien local, le festival « Sortie d'usine 2 » qui s'est terminé le 18 juillet dernier, offre en effet un bilan contrasté : d'un côté, pour ceux qui supportent la Friche, "c'est un succès, près de 4000 personnes présentes sur les quatre jours du festival, en plus des 900 signataires de la pétition en ligne, des 5700 supporters sur Facebook, du SYNAVI...". Mais une partie des riverains ont exprimé une opinion toute autre : 8 plaintes ont été déposées pour le bruit et les tags durant le festival. A propos du festival, un couple de la rue Rochaix explique qu'il a été « insupportable ». Un membre du collectif détaille : "les personnes alcoolisées durant le festival urinaient sur les murs et les trottoirs, certains criaient dans les rues, jetaient leurs bouteilles partout...et surtout, le bruit était insupportable ! A 20 mètres, on avait les fenêtres qui vibraient. Des pères de famille ont des petits qui n'ont pas dormi pendant trois jours ! Certains riverains ont du demander des jours d'ITT pour insomnie."

Malgré la proposition de l'adjoint à la culture, Georges Képénékian, de l'arrêt du festival pour « ne pas compliquer le dossier de relocalisation », les frichards ont décidé de le maintenir. Céline Eyquem reconnaît que "le premier soir, les concerts se sont terminés à 23 heures car nous avons pris du retard, mais ils ont fini à 22h30 le second soir, et les deux derniers jours, il n'y a plus eu de scènes en extérieur, nous étions dans l'usine."

Le problème du parking, « zone de non-droit »

Ces habitants en colère se sont pourtant constitués en "collectif anti-friche", signataires d'une pétition ratifiée par 168 familles, et envoyée aux élus locaux et aux commissariats du 3e et du 6e. Pourquoi un tel acharnement ? "Ça fait 6 ans que ça dure. Le parking de la Friche est une vraie zone de non-droit : la police n'y vient jamais, et on assiste en permanence à des trafics de drogue et de voitures, des rodéos de voitures par les jeunes la nuit, la musique à fond... ce parking est une vraie déchetterie". En plus des troubles internes à l'enceinte de la Friche, ce collectif dénonce une dégradation permanente du quartier : "les bouches d’eau qui servent à nettoyer les rues sont utilisées par les frichards, le quartier ne peut plus être nettoyé par la Ville, les tags abondent, et on retrouve partout des bris de verres, des seringues... nos enfants partent à l'école par ces trottoirs tous les jours !"

Céline Eyquem tient cependant à rectifier les amalgames : "il est possible qu'avec le départ imposé par la Ville, le bruit ait augmenté la nuit, les frichards rangent leurs ateliers pour partir. Mais concernant l'eau, nous avons signé un contrat légal avec la ville, et avons nos propres points, robinets et douches, dans le bâtiment : nous payons notre électricité et notre eau nous-mêmes".

Elle explique le problème du parking : "il n'appartient pas à la Friche, et c'est à la Mairie de s'en occuper. Nous les avons appelé fréquemment pour qu'ils viennent le nettoyer, mais nous n'avons jamais eu de réponse. N'importe qui vient le squatter, et ça nous pénalise car les gens font facilement des amalgames". Un coup de pouce est venu des forains, à qui la Ville a permis de s'installer sur le parking : "ils sont très organisés, et en imposent. Quand ils sont là, ça décourage les dealers et les fauteurs de troubles de venir squatter l'endroit."

Avant de connaître la décision reportant le départ des frichards, les riverains anti-Friche affirmaient vouloir "militer par tous les moyens possibles pour entériner l’expulsion prévue au 31 juillet" et préviennent qu'ils "n'hésiteront pas à utiliser tous les moyens possibles pour les virer : puisque c'est une zone de non-droit, on emploiera la force s'il le faut". Des troubles sont-ils à prévoir ce week-end ? Céline Eyquem déplore leur radicalité : " j'ai appris leur existence par la presse, ils ne sont jamais venus nous voir pour en discuter. Pourtant nous faisons tout pour concilier notre endroit avec la vie des habitants, et beaucoup de riverains nous apprécient et sont mêmes venus durant le festival."

Pierre Bénite : l'espoir temporaire...

Pas facile non plus de trouver des alternatives aux 35 000 m2 du bâtiment qu'ils doivent quitter. Il y a quelques mois, les frichards avaient crû voir un nouvel espoir survenir. Début mars, Serge Tarassioux, maire de Pierre-Bénite, avait écrit un courrier à Gérard Collomb, pour proposer une alternative. Celle-ci prenait la forme de hangars industriels situés près du port de la ville. Dénommé « lot A7 » à cause de l'autoroute qui les longe, cette vingtaine d'entrepôts est actuellement en préemption par le Grand Lyon. Trois d'entre eux auraient pu servir temporairement à accueillir des artistes, selon l'idée proposée par Tarassioux à Collomb : "si le tracé du futur tronçon ouest du périphérique se confirme, ces entrepôts seront détruits, mais ça risque de prendre plusieurs années, d'où l'idée de les occuper", explique Edith Chagnard-Peillard, collaboratrice de Serge Tarassioux.

Les bâtiments ne font que 1000 à 1300 m2, mais disposent d'un énorme parking de 19 000 m2 qui permettrait aux frichards d'y installer du matériel de grande taille ou d'utiliser des camions de chargement, ce qui était impossible à l'usine Lépine. Une condition pour cette occupation : que les frichards relogés participent alors à la vie des quartiers CUCS (Contrats urbains de cohésion sociale) de Pierre-Bénite, Oullins et Lyon, "par exemple en animant des ateliers pour les jeunes, dans ces quartiers en difficulté dans lesquels la ville tente de mettre des moyens pour redresser leur situation."

...finalement destiné à une zone commerciale

Problème pour les frichards : la Communauté Urbaine préfère attribuer ces entrepôts à des activités économiques, plus lucratives. C'est ce que précise à la Mairie une lettre de réponse de Yves Blein : "L'un des entrepôts est déjà occupé, et la direction foncière du Grand Lyon doit bientôt loger les autres", résume Edith Chagnard-Peillard. Les frichards déconfits ont appris la nouvelle sur le tard : "nous l'avons appris en lisant la presse ! On aurait aimé être tenu au courant des décisions nous concernant, depuis le temps que nous demandons plus de transparence dans les échanges avec la ville, nous avons vraiment l'impression que notre parole n'est pas entendue". Quant à la piste de Tarare évoquée au début de l'été, le collectif n'est pas plus informé aujourd'hui.

L'avenir semble donc toujours obscur pour les frichards, qui ont réussi à gagner du temps. Certains d'entre eux ont commencé à partir, mais quid de tous ceux qui campent encore sur place ? Ce qui avait commencé il y huit ans comme une nouvelle expérience culturelle commune entre riverains, artistes, militants et la Ville, semble se terminer dans la douleur, les amalgames et des difficultés à se faire comprendre par chacune des parties.

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