La Maison de la danse se ringardise avec Benjamin Millepied

En résidence à la Maison de la danse, le L.A. Dance Project (la compagnie que Benjamin Millepied a créée en 2011 après avoir quitté le New York City Ballet) présente sa dernière pièce et deux commandes passées à deux autres chorégraphes. Un programme pas très convaincant !

La jeunesse n’excuse pas tout

Benjamin Millepied a demandé à Justin Peck (25 ans), soliste au New York City Ballet et tout jeune chorégraphe, une création pour le L.A. Dance Project intitulée Murder Ballads. Le ton est donné dès le début : on fait du classique mais moderne et on est en connexion avec l’époque actuelle. Sur scène, des baskets attendent les danseurs qui, tous vêtus de T-shirts, short ou jean, viendront les mettre pour les enlever plus tard et danser pieds nus. Commencent alors vingt minutes de ce que d’aucuns appelleront chorégraphie mais que nous nommerons “succession de placements” tant l’absence d’écriture saute aux yeux, relayée par des poses “classiques” qui ne cherchent que l’esthétique du geste, qui nous démontrent même la manière dont il s’accomplit, ne laissant aucun doute sur l’absence de sens et de liens entre les danseurs.

Duos, solos sont bien sûr de la partie tandis que les tentatives de composition de groupe tournent au déjà vu et aux poncifs améliorés : croisements de lignes, corps en décalage qui jouent sur des effets visuels avec de jolis bras tendus ou arrondis, sans oublier les effets musicaux recherchant une certaine idée du contemporain. On cherche au moins la virtuosité et on trouve une compagnie pas très sûre sur ses jambes, avec d’étranges discordances entre les interprètes. Justin Peck est jeune, certes, mais avant de lui attribuer le terme de chorégraphe et de le faire monter sur la scène de la Maison de la danse, peut-être eût-il fallu attendre plus de maturité…

L’ovni, Emanuel Gat

Il est intéressant de voir ces mêmes danseurs dans la pièce du chorégraphe israélien Emanuel Gat, Morgan’s Last Chug, créée avec des musiques de Bach (interprété par Glenn Gould) et de Purcell, et portée par La Dernière Bande, un texte de Samuel Beckett. Conçu comme une étude sur le temps fragmenté, son travail explore les processus de composition d’une œuvre à travers des variations aussi bien sonores que chorégraphiques. Il met à l’épreuve une danse qui cherche et improvise, qui se crée avant la chorégraphie elle-même, refusant tout concept qui pourrait la prédéfinir.

À l’inverse d’un classique qui cherche l’élévation, Gat met les danseurs au sol et l’on voit de suite qu’il a un vrai regard sur leurs corps ; il donne la sensation de les tordre, de les inverser, de les mettre à distance d’une logique représentative et de creuser à l’intérieur. L’autre élément fondamental qu’il amène réside dans une écriture faussement chaotique tandis qu’il crée un rapport très fort entre les danseurs, que l’on ne trouve pas dans les deux autres pièces. Comme s’il chorégraphiait ce qu’il y a entre le mouvement et le danseur et qui constitue le sens de sa danse. La construction est intéressante et interpelle ; il semble cependant que le chorégraphe a manqué de temps pour que les danseurs se libèrent d’une certaine empreinte classique qui gêne par moment la lecture et la réelle nature de tels mouvements ou compositions.

La vacuité de la danse

Reflections est la création de Benjamin Millepied, premier volet d’une trilogie intitulée Gems. L’idée trouve sa genèse dans une collaboration avec le joaillier Van Cleef & Arpels, qui finance sa compagnie, tout comme Balanchine l’avait fait cinquante ans auparavant avec la pièce Jewels, fasciné qu’il était par les pierres précieuses et leurs couleurs. Alors que l’on cherchera le rapport avec le thème de départ, on se trouve devant une chorégraphie qui met en scène des rencontres entre hommes et femmes menées par une gestuelle relâchée, qui crée du liant et se délie, qui va de rebonds légers en glissements subtils avec des interprètes qui s’effleurent l’air de rien pour repartir vers d’autres trajectoires dans l’espace.

Rien est le mot adéquat, car il ne se passe rien sur scène, ni entre eux. On est plongé dans un même mouvement continu, néo-classique et élégant, sans nuances et vaguement sensuel, sans prise de risque et d’un réel ennui que pas même le solo virtuose – et agaçant de maniérisme – d’un danseur ne viendra bousculer. Pour cette pièce, le chorégraphe a travaillé avec le célèbre compositeur David Lang au piano et la scénographe Barbara Kruger, qui a inventé un décor fait de lettres rouges publicitaires, certains formant les mots stay et go, probablement des points d’ancrage ou d’impulsions pour de prétendus rythmes chorégraphiques. Histoire d’amener la touche… contemporaine !

Que reste-t-il de ce programme ?

Sans doute le désir de connaître un peu mieux le travail d’Emmanuel Gat, que l’on retrouvera avec sa compagnie en avril prochain à la Maison de la danse. Et surtout un sentiment étrange – de beaucoup de bruits pour rien – qui nous vient au sortir de cette soirée alors que l’on se demande si l’on a réellement vu quelque chose sur scène tant cela nous semble dépassé et ringard par rapport à l’évolution de la danse et à tout ce que l’on a pu découvrir ces dernières années. Le slogan utilisé cette année par l’institution pour sa publicité – “La maison de toutes les danses” – ne change rien à nos interrogations sur la pertinence de ce programme, même si, après avoir été révolutionnaire, la danse contemporaine américaine est aujourd’hui en grande difficulté !

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L.A. Dance Project – Benjamin Millepied. Jusqu’au 21 septembre, à la Maison de la danse (Lyon 8e).

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Sur le parcours de Benjamin Millepied, de sa formation au CNSMD de Lyon jusqu’à New York puis Los Angeles et bientôt l’Opéra de Paris, lire :

Benjamin Millepied de retour à Lyon

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